Body positive : origine, signification et détournement de ce mouvement

Star d'Instagram voilà quelques années, le mouvement body positive a du plomb dans l'aile. D'abord bienveillant et inclusif, il est désormais accusé d'avoir été récupéré et détourné de son premier objectif, rendre visible des corps non-normés. On vous explique.

Body positive : origine, signification et détournement de ce mouvement
© Jacob Ammentorp Lund /123RF

Qu'est-ce que le mouvement Body positive ?

Ronde, très ronde, petite, mince, trop grande... Le mouvement body positive est un mouvement pour l'acceptation et la reconnaissance de l'ensemble des corps. Bienveillant, inclusif, il se traduit par le respect envers tous les types de morphologie à commencer par l'amour pour son propre corps.

Quelle est son origine ?

Popularisé sur les réseaux sociaux au milieu des années 2010, le mouvement trouve son origine en 1996 avec l'association "The Body Positive" lancé par deux Américaines, Connie Sobczak et Elizabeth Scott, suite au décès de la sœur de Connie Sobczak qui souffrait de troubles alimentaires. Avec cette association, les deux femmes veulent créer "une communauté vivante et thérapeutique qui libère des messages sociaux étouffants qui maintiennent les gens dans une lutte perpétuelle contre leur corps", cite le blog Les Mondes numériques1.

Comment se traduit-il ?

En 2018, le hashtag #Bodypositive était l'un des hashtags les plus populaires des réseaux sociaux. Selon Franceinfo2, il comptait 6 millions d'occurrences sur Instagram. De nombreux anonymes se l'approprient mais le mouvement peut aussi compter sur de célèbres ambassadrices : la mannequin canadienne Winnie Harlow, atteinte de vitiligo, l'humoriste et comédienne australienne Celeste Barber, la chanteuse de Gossip Beth Ditto, la championne de tennis Serena Williams, la mannequin grande taille Hashley Graham...

A la mode, le "Bopo" n'a pas tardé à être récupéré par la publicité. Les enseignes de prêt-à-porter et de lingerie ont affiché des mannequins "grande taille" dans leur campagnes publicitaires. Plus concrètement, des marques ont aussi proposé une plus large gamme de tailles avec des coupes plus adaptées à des corps moins stéréotypés.

Quelles critiques à l'encontre du body positive ?

Assez rapidement, le mouvement ne fait plus consensus. Il est critiqué pour plusieurs raisons comme le fait d'être utilisé comme argument marketing ou le fait que des personnes au corps très normé s'en réclament. Il est aussi perçu comme une injonction à s'aimer – une injonction de plus pour le corps féminin.

Dès 2017, Daria Marx, autrice et militante anti-grossophobie, dénonçait au micro de Lauren Bastide dans le podcast La Poudre : "Le body positive en ligne a créé une norme où sur Instagram. On a des meufs qui mettent le hashtag #bodypositive alors qu'elles font un 40, qu'elles sont foutues en sablier et qu'elles ont zéro vergeture. Juste quand elles se plient en lotus de yoga, elles ont un petit bourrelet sur le côté du ventre. Et ce sont ces photos-là qu'elles prennent en disant 'Regardez, je suis body positive'. Non, tu es parfaitement normée alors arrête ! Réjouis-toi d'être dans la norme. Ce n'est pas militant de te plier pour t'inventer un bourrelet imaginaire".

La blogueuse féministe Kyémis, militante contre le racisme et la grossophobie, a clairement verbalisé le problème dans son texte Comment je me suis éloignée du mouvement body-positive, initialement publié sur Buzzfeed mais repris dans plusieurs articles : "Plus je cliquais sur les hashtag #bodypositive, moins je voyais de corps qui me ressemblaient. Le jeu des réseaux sociaux faisait qu'au sein même de ce qu'on appelle la 'sphère body-positive', les corps les plus valorisés via les likes étaient ceux qui déviaient le moins de la norme. Les têtes d'affiche du #bodypositive étaient celles qui étaient adoubées (par les hommes) et considérées comme 'relativement sexy'. Ashley Graham était validée comme 'sexy' alors que Gabourey Sidibe était encore au stade de 'la grosse qui s'assume' (et qu'on applaudit 'parce que quel courage quand même, on aimerait pas être à sa place'). Certaines formes comme les seins et les fesses étaient valorisées parce que répondant à l'attrait du regard masculin. Par contre, impossible de gratter des likes sur une photo de gras du dos, de bide qui pendouille ou de cuisses qui se frottent !".

Il faut comprendre qu'au départ, le terme body positive devait permettre de rendre visible des corps invisibles, des corps hors-norme. Récupéré par le marketing mais aussi par des femmes aux mensurations "normales", le body positive aurait ainsi été vidé de son sens. C'est ce qu'expliquait à RTL3 Anouch, militante du collectif Gras Politique et qui résume comment le body positive a fini par être dénaturé : "Il a été créé par des femmes grosses et racisées qui en avaient marre de ne pas être représentées. C'était une manière pour elles de dire : on vous voit, on se voit et on a le droit d'exister dans l'espace public", explique-t-elle regrettant que le mouvement ait été "récupéré par les personnes normées, déjà représentées partout. Elles l'ont vidé de tout sens politique".

Outre ces critiques, le mouvement Body Positive a fini par mettre en place une nouvelle norme : cette obligation à s'aimer. Toujours sur le site de RTL, la militante contre la grossophobie Gabrielle Deydier explique : "J'ai un peu peur de tout ce qui finit en 'positive' parce que j'ai l'impression qu'il s'agit encore d'injonction. Évidemment qu'il vaut mieux se respecter mais quand tu as des problèmes psychologiques ou quand tu es en détresse avec ton corps et qu'on te dit qu'il faut que tu t'aimes, je trouve qu'il y a quelque chose de l'ordre de la morale. Je me méfie de tous ces discours autour de la sacralisation du corps parce que tu as le droit de ne pas t'aimer ou de ne pas avoir d'opinion au sujet de ton corps sans que cela soit vécu comme une souffrance".

Le body neutrality

Les dérives du Body positive ont eu raison de lui, évincé par le Body neutrality, lui aussi venu des Etats-Unis. Le concept ? Pas d'injonction à aimer absolument son corps mais le droit à prendre du recul par rapport à lui.

Si elle n'a pas inventé le mouvement, la comédienne britannique Jameela Jamil l'a propulsé sur le devant de la scène. Elle s'est expliquée en 2019 lors d'un entretien au Vogue UK4 : "J'ai dû passer par la thérapie et l'exercice de la body neutrality au quotidien pour m'enlever de la tête que je devais faire attention à moi pour plaire aux autres. Les cicatrices de toutes ses années passées à détester mon corps et à me flageller sont trop profondes. Je n'arrive pas à regarder mes cuisses et leur déclarer mon amour. Ce serait encore et toujours concentrer mes pensées sur ma chaire, au lieu de les consacrer à autre chose. Je ne pense pas du tout à mon corps : je passe un minimum de temps devant le miroir, je ne me pèse pas et j'attrape chaque pensée que j'ai à propos de mon corps et je la sors de mon cerveau. J'ai des choses plus importantes à faire. En conséquence, je suis la version la plus heureuse, la plus saine, la plus réussie et la épanouie sexuellement de moi-même que j'aie jamais connue. J'ai tellement plus d'heures dans la journée, tellement plus de libre. Je ne peux pas croire à quel point j'ai pu gaspiller d'énergie à l'autodestruction."

Pour poursuivre le propos et porter son message, elle a lancé le compte Instagram aux 1,3 millions d'abonnés @I_Weigh et un site internet (http://iweighcommunity.com/).

Enfin, le body neutrality est un positionnement entre le body positive et le body shaming. "La neutralité du corps, c'est accepter que, certains jours, on aime son corps et que, d'autres jours, la confiance peut retomber. Il s'agit d'intégrer qu'il y aura des hauts et des bas et que relâcher la pression face à son physique ne peut avoir que des conséquences positives", explique dans le Elle australien, Cassie Mendoza-Jones, naturopathe, auteure de You are enough, citée par FemininBio5.

Se situer entre le body positive et le body shaming, c'est aussi, ne pas commenter DU TOUT le corps des femmes.

Sources :
1 https://lesmondesnumeriques.net/2018/01/28/body-positive-mouvement-tendance-des-reseaux-sociaux/
2 https://www.francetvinfo.fr/culture/mode/les-createurs-de-lingerie-s-en-emparent-body-positive-le-mouvement-qui-prone-l-estime-de-soi_3728853.html
3 https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/body-positive-comment-ce-mouvement-a-ete-denature-de-son-discours-politique-7798015852
4 https://www.vogue.co.uk/article/jameela-jamil-vogue-september-2019-issue
5 https://www.femininbio.com/spiritualite/actualites-et-nouveautes/4-choses-a-savoir-sur-le-mouvement-body-positive-56565