Adèle Haenel abusée sexuellement par un réalisateur : des stars en soutien, un tabou brisé, une enquête ouverte
Elle nous a embrasés dans "Portrait de la Jeune Fille en feu" de Céline Sciamma, Adèle Haenel, qui a commencé le métier d'actrice très jeune, accuse aujourd'hui. Dans une tribune à Médiapart, elle raconte avoir subi, à la prime adolescence,"attouchements" et "harcèlement sexuel" de la part d'un cinéaste. Si elle ne souhaite pas porter plainte, une enquête a été ouverte par le Parquet de Paris pour "agressions sexuelles".

Ce n'est pas à travers le hashtag #MeToo, mais dans les colonnes du site Mediapart que l'actrice Adèle Haenel, 30 ans, accuse le réalisateur Christophe Ruggia d'"attouchements" et de "harcèlement sexuel" lorsqu'elle jouait sous sa direction dans Les Diables, en 2002. Elle avait alors entre 12 et 15 ans. "Je suis vraiment en colère. Mais la question, ce n'est pas tant moi, comment je survis ou pas à cela. Je veux raconter un abus malheureusement banal, et dénoncer le système de silence et de complicité qui, derrière, rend cela possible. La poursuite du silence était devenue insupportable, le silence joue toujours en faveur des coupables."
Adèle Haenel "n'accepte plus le silence" autour des violences sexuelles dans le cinéma
Adèle Haenel fait part de ses souvenirs glaçants en compagnie du réalisateur, âgé de 36 ans à l'époque, qui n'hésitait pas à inviter la jeune fille chez lui. "Je m'asseyais toujours sur le canapé et lui en face dans le fauteuil, puis il venait sur le canapé, me collait, m'embrassait dans le cou, sentait mes cheveux, me caressait la cuisse en descendant vers mon sexe, commençait à passer sa main sous mon t-shirt vers la poitrine. Il était excité, je le repoussais mais ça ne suffisait pas, il fallait toujours que je change de place".
La jeune actrice peut compter dans sa démarche sur le soutien de ses consœurs Juliette Binoche, Alice Isaaz, Emmanuelle Béart, Géraldine Nakache, Julie Delpy et Sand Van Roy, qui accuse Luc Besson de viol et de Caroline de Haas, militante féministe.
Marion Cotillard a, elle aussi, salué le courage de sa collègue via un post Instagram."Chère Adèle, tu marques l'histoire. L'histoire de cette révolution libératrice. Notre histoire et celle de nos enfants. J'ai une gratitude infinie envers toi", écrit la compagne de Guillaume Canet.
Dans Médiapart, de nombreux témoignages viennent appuyer les accusations d'Adèle Haenel. "On avait l'impression que c'était sa fiancée", avoue une régisseuse aux journalistes qui ont enquêté durant sept mois.
Considérée comme la nouvelle enfant prodige du cinéma français, Adèle Haenel mettra trois longues années à se défaire de sa relation toxique avec le réalisateur Christophe Ruggia. "Ce jour-là, je me suis levée et j'ai dit : 'Il faut que ça s'arrête, ça va trop loin'. Je ne pouvais pas assumer de dire plus. Jusque-là, je n'avais pas mis les mots, pour ne pas le heurter, pour ne pas qu'il se voit lui-même en train d'abuser de moi", confie-t-elle. A cela s'ajoute la honte et la culpabilité. "Je me suis sentie si sale à l'époque, j'avais tellement honte, je ne pouvais en parler à personne, je pensais que c'était de ma faute" explique l'actrice deux fois césarisée (pour Suzanne en 2014 et Les Combattants en 2015).
La réalisatrice Céline Sciamma témoigne également de son mal être. Lorsqu'elle décide de revoir le film Les Diables ensemble, Adèle Haenel fait une crise. "Elle pète un plomb, s'évanouit, hurle. C'était d'une douleur… Je ne l'avais jamais vue comme cela", peut-on lire dans Mediapart.
Adèle Haenel veut briser un tabou, mais refuse de porter plainte

Si Adèle Haenel ne souhaite pas porter plainte, elle veut, en revanche, libérer la parole, confronter les auteurs de ces crimes à leurs méfaits et"briser un nouveau tabou" même si son engagement doit lui coûter sa place dans le monde du cinéma. Mais d'après une source judiciaire à l'AFP, le Parquet de Paris a décidé d'ouvrir une enquête pour "agressions sexuelles".
A 30 ans, Adèle Haenel a fait le choix de prendre à parti celui qu'elle accuse afin de "remettre le monde dans le bon sens, pour que les bourreaux cessent de se pavaner et qu'ils regardent les choses en face (...) que cette exploitation d'enfants, de femmes cesse, qu'il n'y ait plus de possibilité de double discours", déclare-t-elle au média qui a enquêté sur ces faits. "Elle a tort de penser que la Justice ne pourrait rien faire" insistait ce matin la ministre Nicole Belloubet au micro de France Inter. Une invective que certains, à l'instar de Caroline De Haas, n'ont pas apprécié, rappelant le procès de Sandra Muller, iniatrice de #MeToo, qui a été condamnée pour diffamation par son présumé agresseur, Eric Brion.
De son côté, Christophe Ruggia s'est exprimé par le biais de ses avocats et dit "réfuter catégoriquement avoir exercé un harcèlement quelconque ou toute espèce d'attouchement sur cette jeune fille alors mineure".
Pour montrer toute sa solidarité avec l'actrice, la Société des Réalisateurs de Films (SRF) a exclue le réalisateur de 54 ans, qui a co-présidé cet organisme plusieurs fois. "On a passé la journée assommés et dévastés. On l'a contacté pour savoir s'il présentait sa démission mais il ne l'a pas fait ; on a donc décidé de procéder à sa radiation", a indiqué Catherine Corsini, coprésidente de l'association au Monde.