Julie Pietri : Voyage humanitaire, santé, carrière, sexisme... elle nous dit tout ! (exclu)
Julie Pietri, qui revient d'un voyage marquant au Cambodge, s'est confiée au "Journal des Femmes". La chanteuse nous raconte l'origine de ce séjour et nous a fait quelques confidences personnelles.

Julie Pietri revient d'un voyage bouleversant au Cambodge, au cours duquel elle a visité une classe à son nom, rencontré une petite fille dont elle est la marraine ou encore distribué des repas, pour l'association AMUR (Au Moins Un Repas). La flamboyante chanteuse nous a raconté ce périple poignant et s'est également confiée sur le sexisme dont elle a été victime, l'âgisme, son enfance difficile ou encore sa vie à Paris…
Comment vous sentez-vous depuis votre voyage au Cambodge ?
Julie Pietri : J'ai la nostalgie du Cambodge, des enfants que j'ai rencontrés, des missions qu'on m'a confiées. Je n'ai pas pu le faire avant parce que j'ai été atteinte d'un cancer à l'endomètre et j'en ai été opérée. Mais j'ai été super heureuse de pouvoir enfin réaliser ce rêve. Je ne suis restée que 15 jours, parce que j'avais des choses à faire en France… Mais je vais y retourner et essayer d'aider à monter un festival de la francophonie là-bas afin de verser les bénéfices pour les enfants.
Comment le voyage s'est-il déroulé ?
J'ai fait escale à Dubaï et à Singapour, cela met environ 24h de trajet, donc l'aller-retour était long et je l'ai fait toute seule comme une grande ! Mais je voulais absolument répondre à cette mission. J'avais accepté d'être la marraine de cette association, c'était hors de question que je n'y aille pas dès que j'irais mieux au niveau de ma santé. L'idée est d'apporter une éducation et au moins trois repas par jour aux enfants. Comme je dis souvent, sauver un enfant c'est sauver le monde.

Y'a-t-il des moments qui vous ont particulièrement bouleversée ?
J'ai été visiter l'école, avec une classe maternelle qui porte mon nom et voir 80 enfants qui m'attendaient, qui ont fait des petits ballets et des cœurs… C'était extraordinaire ! Ce qui m'a turlupinée, cela a été de voir l'écart entre la richesse qu'il peut y avoir dans les grandes villes et l'extrême pauvreté dans les endroits plus reculés. J'ai été marquée par la distribution de repas avec l'association AMUR, en bas des décharges où les enfants fuyaient pour trouver du riz avarié ou même des blattes. Au bas de ces décharges, il y a des bidonvilles, et l'odeur est insoutenable. Mais j'ai aidé l'équipe à distribuer entre 1000 et 1500 repas par dimanche et j'ai été ravie d'aller au bout de mes convictions.
Aviez-vous déjà eu contact avec votre filleule avant de la rencontrer ?
Elle m'écrivait des lettres ! Et quand je l'ai vue, je lui ai dit de travailler parce qu'elle n'a pas l'air de vouloir bosser (rires). Je l'ai prévenue : "La prochaine fois que je reviens, je veux voir ton carnet !". En partant, j'ai eu comme cadeau un ras du cou en argent qui veut dire "Julie" en khmer et je le garde, c'est mon porte-bonheur maintenant !
"J'ai préféré ma liberté à l'argent"
Votre notoriété a-t-elle été facile à vivre ou a-t-elle plutôt été un fardeau dans votre vie ?
C'est extraordinaire d'avoir un public, de vivre de musique… Mais tous les à côtés sont compliqués. J'ai fait les frais d'un vrai sexisme parce que je suis arrivée avant mes copines des années 80. On me disait : "Sois belle et tais-toi…". C'était très difficile de se battre. C'est bien pour cela qu'au bout de cinq ans, je me suis libérée de mes producteurs véreux. Quand j'ai réclamé mon contrat à Claude Carrère, le producteur de Sheila, celui-ci m'a fait du chantage et m'a dit : "Tu es en fin de contrat, si tu veux te barrer, tu dois me laisser tes royalties". Donc tout ce que j'ai vendu après avoir réclamé mon contrat est resté lettre morte. Mais j'ai préféré ma liberté à l'argent.
La chanson "Eve lève-toi" était aussi une manière de vous libérer…
Oui, j'ai sorti "Eve lève-toi", parce que je n'en pouvais plus. C'était un cri de libération de dire que j'étais debout et qu'il fallait que les femmes le soient aussi. Je reste une féministe dans l'âme, on en parle peu, c'est dommage ! Je ne suis pas une nana qui va faire des polémiques sur un plateau, mais je tape du poing sur la table en musique.
Vous avez été victime de sexisme. Aujourd'hui, vous sentez-vous victime de l'âgisme ?
Aujourd'hui, j'arrive encore à faire plein de choses, comme produire mon nouvel album Origami… Mais j'ai bien compris que, quand on approche les 70 ans, on ne va pas vous passer à la radio même si vous travaillez avec des mecs de 30 ans. Slimane m'a un jour dit : "Ton titre Les hommes qui pleurent est vachement bien". Oui, mais pour être en rotation sur une radio, il faut être jeune ! Je sais bien que les gens disent : "C'est bon, elle a fait sa carrière, place aux jeunes…" Mais c'est tellement lourd parce qu'on ne dira jamais ça à un mec !
Espérez-vous continuer à chanter toute votre vie ?
Je n'ai pas l'intention de baisser les bras, je continuerai à produire mes albums, à chercher des concepts, à coécrire des chansons… et à aller au Cambodge ! Je suis hyperactive et je ne me considère pas comme une femme d'hier, mais comme une femme d'aujourd'hui et de demain. Là, je viens de sortir un morceau avec une créature de chez Madame Arthur, Klaude, contre l'homophobie. Dans le clip, je joue sa mère et je me travestis. Je n'ai peur de rien (rires) !
"Je me fiche du regard des autres !"
C'est grâce à votre force de caractère que vous avez fait carrière, puisque vous ne venez pas d'un milieu artistique...
Mon grand frère me disait toujours : "Je ne sais pas d'où tu sors cette énergie vitale". Mais je ne sais pas non plus ! J'ai toujours eu la niaque. Moi, je suis orthophoniste, ce sont les études que j'ai suivies et je suis diplômée. Mais pendant que j'écrivais mon mémoire, j'ai passé une audition, sans le dire à mes parents, pour entrer dans ce groupe pour enfants, la bande à Basile. Là, un directeur artistique m'a remarquée… Il m'a proposée un morceau et lorsque j'ai écouté la maquette, je me suis dit que peut-être, je me retrouverais dans une compilation pour me faire un peu de sous. C'était Maria Magdalena, et au final : 500 000 exemplaires vendus. Cela m'a estomaquée ! Je n'étais pas préparée. Je pensais que je ne réussirais jamais, car il y a tellement d'appelés et si peu d'élus.
Votre fille Manon a-t-elle hérité de votre "niaque" ?
Manon est plus "fragile" que moi, très lutteuse aussi, mais avec une grosse part de fragilité. Je pense que cette différence vient du fait que nous n'avons pas eu la même éducation, elle n'a pas eu la même vie que moi. Moi, je viens d'un milieu où il a fallu énormément lutter.
Vous avez également connu l'expérience du déracinement puisque vous êtes née en Algérie et vous avez dû construire une vie dans un autre pays…
J'ai vécu toute petite la guerre d'Algérie à Alger, au milieu des bombes qui sautaient. J'ai eu beaucoup de mal à m'exprimer parce que j'ai été très traumatisée et j'ai fait 15 ans de psychanalyse. Je me souviens encore qu'il y avait des morts sous les couvertures dans les rues, qu'il fallait s'engouffrer dans des portes d'immeuble lorsque l'on entendait des tirs et qu'il fallait parfois se coucher par terre sur le chemin de l'école… Au début, mes parents ne croyaient pas que les choses pouvaient escalader et ils ont eu du mal à partir. Ce genre de choses marque à vie. J'ai eu une enfance très difficile, traumatisante, mais je ne le raconte pas souvent.
"Je suis fanatique de Paris !"
Au quotidien, préférez-vous l'agitation des grandes villes ou le calme de la campagne ?
J'adore Paris ! Je suis fanatique de la capitale : voir toutes ces expos inimaginables, ces peintres… C'est exceptionnel. Je vais souvent à l'opéra, j'adore ça ! J'ai un peu cette maladie-là. Mais parfois, cela devient trop dur de supporter tous ces travaux, et pourtant, j'habite à l'Etoile. En ce moment, mon immeuble est en plein ravalement et d'ailleurs ma rue est bloquée, merci Madame Hidalgo ! Donc là, je vais partir en Bretagne, dans le silence, avec mes copines. On va rigoler et faire de la marche. J'adore la Bretagne et la Normandie ! Mais j'ai la nostalgie du Cambodge quand même…
Y'a-t-il une chose qui vous agace lorsque les médias parlent de vous ?
Cela m'énerve que l'on me réduise à un tube. Lorsque l'on parle de moi en tant "qu'inoxydable interprète de Eve lève-toi", je trouve cela très réducteur. Vous faites un blockbuster et cela fait disparaître tout le reste ! Après, s'il ne reste qu'une chanson de moi quand je serai partie, autant que cela soit celle-ci !