"Maman, désolée pour toutes les critiques !" Cette marque Mode longtemps considérée comme ringarde devient ultra tendance
C'est le "plot twist" le plus spectaculaire de la Fashion Sphère. Cette marque Mode qu'on rangeait jadis dans la catégorie "ringardise" a créé la surprise en 2019. Les modeuses les plus sceptiques sont désormais conquises par la griffe.

Si les histoires de belles endormies réveillées grâce au génie d'un directeur artistique sont courantes chez les maisons de Mode établies (Balenciaga, Balmain ou Schiaparelli, pour ne citer que quelques success stories), jamais encore on avait assisté à un tel retournement de situation parmi les griffes "haïes" par le grand public. Ce label ibérique en a surpris plus d'un en s'affichant sur les it-girls les plus en vue du moment, balayant tous nos préjugés stylistiques à son sujet, et dépoussiérant son image ringarde pour s'inscrire dans l'"avant-garde".
Connu pour son style excentrique aux frontières du kitsch, ses coloris ultra flashy, ses motifs fleuris, ses imprimés peu discrets et/ou psychédéliques que rien ne prédestine à être réunis en raison d'une impossible harmonie esthétique, le label a longtemps été raillé par les fashionistas. Aujourd'hui, tout cela est fini : il est finalement adoubé par la Gen Z qui ne tarit pas d'éloges sur lui : "Je suis choquée de l'évolution ! Bravo", "Je commence à bien aimer la marque", peut-on lire sous ses vidéos TikTok. Vous l'aurez compris : le label en question n'est autre que Desigual, au grand dam de ceux qui voulaient le voir disparaître de notre vue et de nos vies. Qu'est-ce qui l'explique ?

La mode ne se limite pas aux seuls vêtements : elle se fonde aussi sur le marketing et le storytelling. Si Desigual a réussi ce "braquage" Mode, c'est en partie parce qu'il a procédé à une profonde refonte de son image en 2019. Ladite stratégie a immédiatement porté ses fruits : son chiffre d'affaires est passé à 589 millions d'euros la même année, soit 37% de plus que l'année précédente. Pour rappel, la griffe avait commencé à décliner à la mi-2015, avec un recul du chiffre d'affaires de 14% en 2018.
"Pour continuer à être Desigual", explique le fondateur Thomas Meyer, la marque a choisi de passer du "surchargé" à davantage de "simplicité" sur tous les aspects : graphisme, merchandising, stylisme. Le logo se départit ainsi de ses tâches de peinture colorées, la police se fait plus fine et épurée.

Les vêtements se parent de couleurs criardes comme plus discrètes, se tapissent toujours d'imprimés audacieux, mais le tout est plus subtil et harmonieux, et surtout, fait moins mal aux yeux des modeuses. Jadis considérés comme importables, ils deviennent finalement envisageables dans leur vie quotidienne. L'objectif de ce virage 360° : sortir de son côté "niche", gagner de nouvelles consommatrices, rajeunir sa cible. Après tout, cette volonté de toucher le plus grand nombre fait sens quand on connaît l'ADN inclusif de la griffe.
Cependant, cette démocratisation est à double tranchant : le label prend le risque de diluer l'identité forte qui avait jusqu'alors conquis sa cible historique des 45-49 ans. Mais "les consommateurs sont de moins en moins fidèles"*, rappelle Guillaume Erner. Si certains internautes déplorent le manque de couleur des nouvelles collections et estiment qu'elles perdent leur identité d'antan, en réalité, l'ADN de Desigual ne s'incarne pas que dans le vêtement. Il réside dans la transgression, l'impertinence, le refus de la normalité imposée ; valeurs qui continuent de s'exprimer dans le ton déployé par sa communication.
Effectivement, Desigual nous régale toujours de son indéniable bagout, qui lui permet de tourner le "mauvais goût" dont on le fustige en véritable atout. Les slogans se font tout aussi impertinents qu'avant : "I'd never thought I'd wear Desigual", peut-on par exemple lire dans ses légendes Instagram.
Le petit plus, c'est que la marque accepte les critiques les plus virulentes et s'en moque tellement qu'elle en devient cool et attirante. Autodérision à son paroxysme, elle les revendique même fièrement. Pour poursuivre sa "kitsch pride", elle va jusqu'à investir des terrains réputés vulgaires, à l'image de la téléréalité, et les rend branchés à souhait. Elle retourne sa faiblesse en véritable force, et c'est là tout le secret de son succès. En sociologie, on dirait que c'est un "retournement du stigmate" réussi.
La célébrité joue un rôle clé dans la désirabilité d'une pièce ou d'une marque de Mode. Ces dernières années, le label a donc choisi de s'entourer de stars adulées pour que leur popularité finisse par le toucher par "effet de ricochet". Il s'est ainsi payé les services de la top model la plus en vogue du moment : Amelia Gray.
Et comme si cela ne suffisait pas, hors campagnes publicitaires, il s'affiche également sur d'autres stars : Rosalia en total look Desigual à la Fashion Week de Paris en septembre, Jenna Ortega à la Mostra de Venise le même mois, Sara Sampaio à la semaine de la Mode parisienne en 2023… Toutes ont été spottées dans des tenues signées de la griffe espagnole. Aucun doute, la marque fondée par Thomas Meyer sait s'entourer, aussi bien en termes de visibilité qu'en termes de créativité.

Outre ce volet stratégique axé "regain de popularité", il y a aussi le volet "légitimité". Ce qui a fait défaut à Desigual depuis ses débuts, c'est sa "crédibilité Mode" (du moins, aux yeux des gens de la Fashion Sphère). Pour y remédier, la griffe ibérique a multiplié les collaborations avec des directeurs artistiques réputés, jeunes créateurs émergents et/ou artistes en vogue : Christian Lacroix, Maîtrepierre, Collina Strada… La liste est longue. Le défilé printemps-été 2025, qui s'est déroulé en juin dernier, vient parachever cette quête de crédibilité.
Mais il se pourrait bien que l'accession à son statut branché relève aussi du timing. Comme vous le savez, la Mode est un éternel recommencement : les tendances viennent et s'en vont, souvent selon des cycles de 20 à 25 ans.
Logiquement, les années 2020 furent marquées par le retour du style des années 2000, le fameux "Y2K". Or, c'est une esthétique dont est infusé le label barcelonais. Desigual a donc en réalité connu son (re)gain de popularité au moment où ce qui fonde son identité est devenu branché. "Le bon label au bon moment". Mais jusqu'à quand ? Affaire à suivre.
Sources :
*ERNER, Guillaume, "Victimes de la mode ? Comment on la crée, pourquoi on la suit", Editions La Découverte, 2004