L'inquiétante mode des accouchements à domicile

Les professionnels de santé s'inquiètent de voir ces dernières années les demandes d'accouchement "naturel" augmenter. Les futurs parents seraient de plus en plus sceptiques à l'égard de la médecine conventionnelle, privilégiant les conseils sur les réseaux sociaux. Détails.

L'inquiétante mode des accouchements à domicile
© videokampus

Les soignants donnent l'alerte et à raison. "Aujourd'hui, une youtubeuse est plus écoutée qu'un professeur d'obstétrique", s'indignait Yves Ville, patron de la maternité de l'hôpital Necker à Paris, au Parisien suite à la publication récente du rapport sur la santé périnatale en France. Ces dernières années, la tendance qui est plébiscitée par les futurs parents est le "tout naturel". En effet, les demandes pour des accouchements "nature" explosent assure Caroline Combot, secrétaire générale de l'Organisation nationale syndicale des sage-femmes à BFMTV. "De plus en plus de femmes revendiquent qu'on ne médicalise plus l'accouchement, et refusent le déclenchement de l'accouchement", a remarqué le professeur Yves Ville. Il suffit de voir les chiffres.

Entre 2018 et 2019, environ 1 200 dossiers ont été enregistrés pour faire une demande d'accouchement accompagné à domicile, a expliqué Floriane Stauffer, présidente de l'APAAD à Radio France. En 2020, ce chiffre est monté à 1 500. Mais le problème c'est que les sages-femmes formées à l'AAD (Accouchement Accompagné à Domicile) sont peu nombreuses. En 2021, elles étaient seulement 85 à exercer en France. Résultat faute de professionnels : "de plus en plus de femmes lorsqu'elles ne trouvent pas de sages-femmes, ne se résignent plus à aller à l'hôpital. Elles disent : s'il n'y a pas de sages-femmes, j'accoucherai chez moi, toute seule", dénonce Floriane Stauffer. Certains parents préparent même l'accouchement de leur côté, en lisant et écoutant des conseils trouvés ici et là sur les réseaux sociaux. 

Comment expliquer cette méfiance de la médecine conventionnelle ? 

Pour Yves Ville, interrogé par BMFTV, "cette nouvelle tendance survient en réaction à la médicalisation assez intense de la grossesse qui était privilégiée entre la fin des années 1970 et les années 1990, avec des recommandations en faveur de consultations nombreuses et d'échographies systématiques". Désormais, "on est dans un courant très sceptique à l'égard des messages médicaux. Les femmes se disent 'qu'est-ce qu'on vient m'embêter avec de la médecine alors que c'est un phénomène naturel qui s'est très bien passé pour mes amies ou une-telle sur internet'". Globalement, il y a une vraie méfiance maintenant qui grandit envers la médecine conventionnelle et même l'industrie pharmaceutique, a constaté Amine Saïd, médecin à l'hôpital de La Timone à Marseille. "La crise Covid a servi de catalyseur parce que les médecins n'étaient pas d'accord entre eux sur les questions liées à la pandémie. De fait, ils ne parlaient pas d'une seule voix et ça a brouillé les messages scientifiques", a-t-il observé. Un sujet qui est d'ailleurs au cœur d'un travail de recherche mené par Raphaël Veil, médecin à l'hôpital Bicêtre à Paris. Le manque d'accès aux soins dans certaines régions aurait aussi un impact, estime Amine Saïd. 

Une tendance au naturel risquée

Cette tendance du "retour à la nature qui s'opposerait à la médecine" pour les accouchements n'est pas sans risque"Certains pensent qu'à partir du moment où c'est naturel, c'est sans risque. Alors certes, cela est faisable mais pourtant une femme qui accouche seule dans sa baignoire, ça peut être extrêmement dangereux si ça n'est pas préparé ou si les conditions ne sont pas réunies" le moment venu, prévient le médecin Amine Saïd. C'est un point qui inquiète fortement les professionnels de santé. D'autant plus que le mode accouchement à domicile ne convient pas à tout le monde, rappelle le professeur Yves Ville à nos confrères. Il "n'est pas adapté à toutes les femmes et toutes les grossesses, surtout quand on sait que l'âge moyen des femmes enceintes se décale progressivement vers les 35-44 ans." Une tranche âge où certains risques de complications liés à la grossesse augmentent au fil des années, notamment le risque de pré-éclampsie, de naissance prématurée ou encore de malformations fœtales et d'anomalies chromosomiques.