Une retombée du souci de perfection : un sentiment de culpabilité injustifié
Très tôt, les enfants doués ressentent une impression de différence par rapport à la plupart des autres enfants, ils ne sont alors jamais très sûrs de la valeur de leurs réactions et ils ne savent pas toujours comment interpréter les réactions parfois surprenantes à leurs yeux, qu'une action de leur part a entraînées.

Ils se disent qu'ils ont peut-être blessé leur interlocuteur, naturellement sans aucune mauvaise intention, ils ont été simplement maladroits et ils se répandent en excuses pour cet impair commis bien malgré eux. Ensuite, ils se le reprochent amèrement, ils souffrent pour celui qu'ils ont blessé, ils imaginent son désarroi ou même sa souffrance et ils s'en veulent sans se chercher d'excuses et encore moins de justifications.
En réalité, tout cet enchaînement si pénible s'est produit uniquement dans leur esprit, leur anxiété leur a fait mal saisir les réactions qu'ils pensent avoir suscitées, alors que leur interlocuteur ne s'est rendu compte de rien ou bien qu'il n'a prêté qu'une attention distraite à ce qui lui est apparu comme un incident sans importance. Il s'agirait apparemment d'un scrupule excessif provoqué par le souci de se comporter du mieux possible pour éviter de blesser ceux qui les entourent.
Les personnes douées pensent tout naturellement que les autres leur ressemblent, elles se mettent donc à leur place et elles savent bien qu'elles se sentiraient extrêmement blessées si on leur avait fait ce genre de remarque. Elles ne peuvent imaginer que la plupart des personnes ne sont pas dotés de la même sensibilité ni de la même imagination. Elles, envisagent sur le champ les conséquences d'une parole qui les a atteintes : elles y voient le signe incontestable qu'on a une très mauvaise image d'elles, sans doute parce qu'elles se montrent si souvent décevantes, elles ont consciences d'ignorer les règles de conduites que tout le monde semble connaître depuis toujours, elles ont manqué quelque chose, elles ne savent pas exactement la nature de cette carence, elles parviennent à la masquer et à donner le change, mais elles se trahissent parfois par des paroles maladroites et ce manque qui leur est propre apparaît alors de façon irréfutable sans même qu'elles en aient eu conscience sur le moment.
Toute leur existence sera placée sous le signe de cette maladresse qui fait rire, qui choque ou seulement surprend, mais elles oublient que la plupart du temps personne n'a rien remarqué : personne n'a été blessé, mais personne non plus ne s'est aperçu qu'elles se sentaient meurtries par des remarques, anodines aux yeux du plus grand nombre. On s'esclafferait sans retenue en moquant ce qu'on appellerait de la sensiblerie, ou, plus cruellement, un fâcheux manque d'humour.
C'est leur imagination trop fertile qui fournit en abondance toutes sortes de scénarios, généralement dramatiques, provoqués par cette maladresse qu'elles ne cessent de se reprocher, au point de ne pas pouvoir s'endormir ; c'est même au moment de glisser dans le sommeil que les pires conséquences leur apparaissent dans toute leur horreur. Enfants comme adultes, tous connaissent ces enchaînements dramatiques, amplifiés par l'obscurité et l'absence d'actions.
Si le sujet est abordé, on parle d'hypersensibilité, celle qui caractérise justement les personnes douées, mais on néglige cette propension des personnes douées à basculer dans des univers infinis où tout est possible, y compris une catastrophe cataclysmique. Des romanciers ont su maîtriser cette tendance pour construire des récits horrifiques, trouvant leur origine dans d'infimes événements dont personne ne s'est soucié.
Les parents font tout leur possible pour éviter de blesser leur enfant sans aucun bénéfice éducatif : il croira qu'on ne va plus l'aimer et qu'il se retrouvera loin du doux foyer, livré à lui-même dans un monde hostile où il ne tardera pas à disparaître. Ce n'est qu'une idée fugace qui lui traverse l'esprit, mais elle laisse une trace, infime et tout de même persistante et douloureuse. Plus tard, elle pourra se réveiller dramatiquement, dans nombre de circonstances ordinaires de la vie des adultes avec des malentendus qui apparaissent comme d'infranchissables obstacles : elles se culpabilisent parce qu'elles auraient blessé des amis chers qui ne le leur pardonneront jamais, elles se seraient insurgées trop violemment à leur travail et, plus grave et plus triste encore, elles auraient détruit une relation amoureuse par des critiques qui leur ont échappé, lors d'une discussion anodine et banale. Même si vite tourmentées par leurs scrupules, elles ne peuvent étouffer leur esprit lucide et critique : des remarques jaillissent bien malgré elles parce qu'il faut respecter la vérité et la cohérence dans toutes les situations.
L'intensité de ces émotions est totalement ignorée par l'entourage qui serait sidéré s'il avait la moindre idée de ces orages qui envahissent et submergent les personnes douées à l'idée d'avoir été maladroites. Il est difficile de réprimer l'expression de ces émotions tellement violentes, quand celui qui se reproche une réaction mal contrôlée envisage les conséquences les plus dramatiques, et parfois définitives, qu'elle va entraîner. On dit alors de ces enfants trop imaginatifs "il ne sait pas gérer ses émotions", mais on méconnaît leur violence. L'enfant voit sa vie et son univers basculer, pour atterrir ensuite, il ne sait où, mais certainement dans un lieu plus proche de l'enfer, empli de démons hideux et terrifiants, et non dans un paradis où règnerait la liberté et le bonheur.
Quand il est ainsi plongé sans aucune réserve dans ces perspectives affreuses, il est inutile de tenter de le calmer : lui, sait ce qui l'attend, son entourage l'ignore et le découvrira trop tard. Jamais, personne ne peut saisir l'énormité du drame qui se prépare, excepté ceux qui ont conservé le souvenir des angoisses traversées dans leur enfance. Les adultes trop vite enclins à s'adresser des reproches ont appris à maîtriser l'expression de leurs émotions et à relativiser, avec plus ou moins d'efficacité, les éventuelles conséquences de leur maladresse, mais ils se souviennent de leur effroi devant les épouvantables perspectives, qu'ils pensaient parfois inévitables, que leur gaucherie allait déclencher. Ce sont les seuls à véritablement comprendre l'enfant doué submergé de terribles images.
Conseils : tenter de comprendre le mécanisme qu'un excès de scrupule peut provoquer, c'est alors seulement qu'on pourra apporter un apaisement efficace, puisque la cause de départ aura été identifiée, il est dès lors plus facile de désamorcer cet engrenage angoissant afin de l'éviter aux adultes, puisqu'ils auront compris que ce perfectionnisme exagéré risquait de troubler nombre de relations sociales.