Rester fidèle à soi-même : un défi pour les enfants doués

Quand ils ont agi d'une  façon qui a désagréablement étonné leur entourage ou encore énoncé des idées qui l'ont surpris parce que ces réactions pouvaient sembler discutables, ils n'ont pas envie de chercher des justifications, dont eux-mêmes ne seraient pas dupes, ils seraient ennuyés de paraître chercher à tromper leur entourage, et donc souvent leurs parents, par des arguments qu'ils savent fallacieux ou simplement boiteux. Ils seraient aussi gênés de sembler les considérer comme trop naïfs ou trop crédules pour être convaincus par ces arguments improbables, ce serait une tentative pour fausser les relations entre parents et enfants, alors que le risque de malentendu n'est jamais très loin, en dépit de la bonne volonté des protagonistes.

D'ailleurs, l'essentiel reste l'image qu'on se construit de soi, trop d'accommodements rendent les fondations de cette image trop fragiles, elles risqueraient de s'effriter au premier coup de vent. La seule façon de rendre cette construction réellement solide, faite pour affronter les tempêtes, consiste à ne pas se chercher des excuses pour une action qui n'est pas tout à fait celle qui était attendue et qui pouvait même être contestable.

Très jeunes, les enfants savent qu'ils n'ont pas agi comme il l'aurait fallu, exceptés ceux qui se sont bloqués dans un désir de toute puissance : il fausse toutes leurs réactions et surtout, il les rend aveugles, sourds et les prive de toute capacité de jugement, sinon ils ne supporteraient pas cette image dévalorisante qu'ils donnent d'eux-mêmes, alors que, justement, ils pensent préserver cette image de puissance par un comportement insensé. Ceux qui sont plus mûrs, lucides et réalistes, ont très vite compris qu'il fallait dépasser, sans même s'y arrêter, la tentation de se croire doté d'un pouvoir absolu, alors qu'ils ne savent même pas lacer leurs chaussures quand ils se trouvent face à ces entrelacs maléfiques. Hurler en se roulant par terre leur paraît dégradant.

Il est bien préférable de se comporter de façon à ressembler à l'image d'un enfant attentif et sérieux, participant déjà à la bonne marche de la maison : ils sont petits, faibles, leur ignorance est insondable, mais ils savent être présents et ils intègrent une somme faramineuse de connaissances grâce à cette attitude ouverte. Ils savourent l'image qu'on leur renvoie, il n'y a pas de fausse note : la construction sera solide.

Toutes les caractéristiques des enfants doués se conjuguent pour que cette fidélité à soi-même constitue un élément essentiel de leur personnalité, il ne doit pas y avoir de contradiction à l'intérieur d'eux-mêmes, cette harmonie leur est indispensable, comme si elle participait à l'élaboration d'une feuille de route qui les guidera ensuite longtemps. Ainsi, il leur serait impossible de faire partie d'une meute de harceleurs, ils auraient plutôt tendance à défendre le harcelé, mais ce sont parfois justement eux qui se trouvent à cette place sans comprendre comment ils ont été pris dans ce piège infernal.

Ce n'est qu'à la toute dernière extrémité qu'ils s'autorisent un mensonge, parfois pour ne pas trahir un ami. Ils se montrent généreux, altruistes, attentifs, même s'ils sont aussi passionnés et impatients ; en fait, ils ne pourraient pas agir différemment. Ils ne supporteraient pas de se surprendre dans l'image d'un égoïste, centré sur sa personne ou bien d'un pleurnicheur trouvant partout des responsables à son malheur pour se dédouaner d'une conduite répréhensible. 

Pour les enfants doués et les adultes qu'ils deviennent, l'essentiel reste d'être toujours en accord avec soi-même, la fausse note d'un désaccord peut leur paraître insupportable et presque douloureuse. Cet accord est essentiel : les enfants doués se heurtent à tant d'incompréhension, leurs réactions, leurs paroles et leur façon de voir et de comprendre le monde qui les entoure sont si souvent mal interprétés qu'il leur faut impérativement éviter toute dissonance en eux-mêmes, ils doivent résister à la tentation doucereuse de ressembler à tout le monde, ils ne se reconnaîtraient plus et ils se reconnaîtraient encore moins dans l'image qu'on leur reverrait alors.

Ce serait comme un miroir déformant où on reconnaît, malgré tout, quelque chose de soi, grâce à une lointaine ressemblance ou à quelques traits devenus flous, mais tellement transformés qu'ils ressembleraient presque à une caricature. C'est donc bien seulement en se gardant de trahir sa personnalité avec ses élans, ses goûts et ses préférences qu'ils peuvent élaborer une personnalité les reflétant le plus exactement possible. Les mots qui définissent les personnes douées : harmonie, cohérence, s'appliquent ici dans toutes leurs dimensions.

Quand quelqu'un a accompli une action d'éclat, parce qu'elle était vitale dans certaines circonstances, il s'entend répéter qu'il ne pouvait pas faire autrement, il a agi avec rapidité, sûreté et intelligence dans la seconde, quand il s'agit d'un sauvetage par exemple, mais sans doute se serait-il ensuite reproché toute sa vie son inaction s'il n'avait pas réagi de la sorte. Un skipper qui se détourne de la route le menant à une victoire assurée et se met en danger pour sauver un rival et ami dans la détresse est un parfait exemple de cette cohérence. Victorieux parce qu'il serait resté sourd et aveugle, il aurait supporté sa vie durant le poids de sa lâcheté égoïste.

Spinoza a écrit dans l'Ethique : "le bonheur consiste pour l'homme à pouvoir conserver son être", si l'on veut, on peut y voir la confirmation de l'importance de cette fidélité à soi. Parfois, l'entourage s'efforce de dissuader celui qui tient à rester fidèle à ce principe : il risque de se mettre en danger, de perdre trop de temps, de manquer des opportunités qui ne se reproduiront pas, de froisser ou d'irriter des personnes qu'il est préférable de ménager, il y a toujours mille raisons pour se dérober avec la meilleure conscience du monde.
Cette fidélité à soi est exigeante, mais elle constitue une caractéristique fondamentale des personnes douées

Conseils : la générosité et l'attention aux autres sont des qualités appréciables, il faut se garder d'encourager la tendance à une certaine rigidité qui ne laisserait pas passer le plus infime des manquements au détriment de l'édification de la personnalité et parfois de l'avenir quand l'exigence demande des sacrifices excessifs qui peuvent être inutiles comme le démontre la suite des événements. On doit aussi rester critique et perspicace pour se défendre contre ceux qui considèrent cette fidélité comme une faiblesse à exploiter sans scrupules.