Le harcèlement et ses conséquences

Le harcèlement est devenu un sujet dont on parle beaucoup. Non pas parce que le nombre de cas augmente, mais c'est parce qu'on évoque plus souvent ses victimes lorsqu'elles en sont réduites à commettre des actes dramatiques, puisqu'elles ne voient plus d'autre issue et que leurs forces ont fini par les abandonner complètement.

Le harcèlement et ses conséquences
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Longtemps le harcèlement a été minimisé : les torts ont été répartis entre harceleurs et harcelés, au mépris de tout bon sens, les harceleurs étant généralement assez nombreux, face à un harcelé qui est seul. Celui qui est harcelé tente de résister, il ne veut pas céder devant des élèves de son âge, dont certains avaient été ses copains il n'y a pas si longtemps. Mais il a l'impression que c'était dans une vie antérieure, quand tout allait bien et qu'il n'y avait de nuage nulle part. Il ne comprend pas comment ce basculement a pu s'opérer sans qu'il ait pu le prévoir. Il se retrouve en enfer, il ne veut pas impliquer ses parents privés de pouvoir à l'intérieur de l'école. Il pense qu'il parviendra à supporter cette situation et qu'il sera toujours temps d'alerter les adultes s'il craque peu glorieusement. Son entourage le voit parfois triste, parfois ailleurs et distrait. Ses résultats baissent peut-être un peu, mais ils avaient été excellents jusque-là, il doit s'agir d'une baisse temporaire, on ne va pas lui mettre une pression superflue pour quelques points de moins. Il voit moins ses copains, il en parle moins aussi, mais personne ne peut imaginer l'horreur qu'il vit au quotidien. Certains penseraient qu'il s'agit d'une péripétie comme il s'en produit dans tous les groupes et que l'affaire va se résoudre à l'intérieur de ce groupe. En effet, il est rare que les adultes s'en mêlent, comme s'ils ne savaient pas exactement comment intervenir. Si ce harcèlement reste discret en présence des adultes, il paraît anodin, il n'y a pas lieu de s'en inquiéter. Quand, enfin les parents découvrent l'ampleur du drame vécu par leur enfant, ils prennent les mesures qui conviennent et le changent d'établissement. On entend dire que cet enfant est doublement puni : il quitte son école, il doit aller dans un lieu inconnu. Il voit sa faiblesse connue de tous, mais il respire mieux, il se sent revivre, il peut se reconstruire, parfois avec l'aide de psychologues qui lui permettent de se réconcilier avec son image si gravement malmenée.

"L'enfant blessé en conserve des traces qui ne disparaîtront pas"

Malgré toutes ces mesures, l'enfant blessé en conserve des traces qui ne disparaîtront pas. Une fois adulte, il n'a pas envie de réveiller ces anciens souvenirs, il ne tient pas à donner de lui cette image amoindrie d'un être faible qui n'aurait pas su se défendre. Il ne veut pas qu'on le plaigne, ce n'est pas ainsi qu'il veut apparaître aux yeux de ses amis, de ses collègues, et surtout, bien évidemment de la personne qui suscite un tendre sentiment. Il a su se forger une personnalité forte et dynamique : elle a résisté aux multiples flèches qui l'ont tant blessé, mais ne l'ont pas fait mourir. Il comprend ceux qu'un épuisement désespéré avait accablés. Il ne se sent pas plus fort que ceux qui n'ont vu d'autre issue que de se retirer du jeu parce qu'en devenant trop cruel, il avait éteint toute lueur d'espoir. Il ne sait pas d'où lui est venu cette force qui l'a soutenu ni quelle est cette chance qui l'a finalement préservé. Il a repris goût à la vie, fait des études, choisi un métier qui lui convenait et où il trouve des satisfactions, jusqu'au moment où sa route croise celle d'un pervers, comme il en sévit tant dans nombre d'entreprises, et il bascule à nouveau dans un puits sans fond. Cette fois, il n'y a qu'un seul harceleur, mais c'est un supérieur hiérarchique qui, en bon pervers, a détecté une faille et prend plaisir à s'y engouffrer.

Des enfants harcelés souvent doués

Il semblerait que les enfants harcelés soient le plus souvent des enfants doués : ils ont agacé un meneur par leur aisance et leur grâce. Leur gentillesse fait d'eux des victimes faciles puisqu'ils sont dépourvus de toute agressivité, surtout gratuite et extériorisée pour le seul plaisir. Adultes, ils portent encore au fond d'eux-mêmes cette blessure si prompte à s'ouvrir à nouveau. La trace n'en a jamais réellement disparu, la cicatrice n'est pas si bien refermée, l'impression d'un éternel recommencement devient étouffante et désespérante. Tout comme les enfants qui ont subi des sévices de quelque ordre que ce soit en gardent une marque indélébile, celui qui a été harcelé conserve encore des images présentes dans sa mémoire et donc vite réveillées. C'est le don intellectuel qui a permis à l'enfant harcelé de puiser en lui des forces insoupçonnées pour se reprendre. Il a pu donner le change et aussi reprendre goût à la vie, mais le sentiment d'avoir été trahi par des semblables, des amis parfois, entraîne d'infimes réticences, dont lui-même n'a pas conscience. Ce sont d'imperceptibles fêlures, toutes prêtes à se révéler si les circonstances s'y prêtent. Les personnes douées représentent des proies rêvées pour un pervers, si le terrain est rendu plus fragile, leur œuvre destructrice devient plus efficace encore. Celui qui avait été harcelé entend à nouveau les reproches que certains lui adressaient : il était lui-même en partie responsable de cette situation, c'est lui qui avait provoqué ses camarades,  sans qu'il saisisse très clairement comment il avait pu les provoquer, puisqu'il n'est pas dans sa nature de chercher la bagarre et encore moins de vouloir démontrer une quelconque supériorité. Et, pourtant, il n'est pas tellement étonné de ce perpétuel recommencement : il sent bien en lui une faille qui le rend subtilement différent des autres. Ce serait les raisons entraînant cette faille qui pourraient être considérées comme étant de la provocation. Ainsi, mener plus loin et sans se fourvoyer un raisonnement d'une rigoureuse logique met en évidence les incertitudes des autres, et même plus directement leurs limites. Ce seul exemple illustre ce qui peut être pris comme une provocation. On conçoit bien à quel point peut être désespérante cette impression de replonger dans un enfer qu'on croyait avoir laissée loin derrière soi et dont on pensait s'être extrait à jamais. Les images anciennes reviennent en force, laissant planer une menace pour sa vie-même.

Conseils : ne pas penser que tout rentrera dans l'ordre quand l'enfant harcelé aura changé d'environnement. L'enfant ira beaucoup mieux, mais subsisteront des traces profondes qui pourront surgir à nouveau si les conditions s'y prêtent, causant des dégâts parfois dramatiques. Une approche thérapeutique appropriée serait bienvenue