LA VIE TRÉPIDANTE DE BRIGITTE TORNADE commentée par Camille Kohler

Depuis le 18 septembre, "La Vie Trépidante de Brigitte Tornade", mis en scène et incarné par Éléonore Joncquez, enchante les spectateurs du théâtre Tristan Bernard. Nous avons interrogé Camille Kohler, à l'écriture de la pièce et de l'émission de radio qui en est à l'origine.

A l'origine, avant sa transposition jubilatoire sur les planches, La Vie Trépidante de Brigitte Tornade a d'abord été une fiction radiophonique de 50 épisodes, écrits par Camille Kohler, pour France Culture. C'était en 2012 dans le cadre de l'émission La Vie Moderne. A l'époque, les auditeurs se sont véritablement passionnés pour son héroïne attachante : une mère de famille au bord de l'implosion, qui ne sait plus où donner de la tête entre un mari qui délègue, des enfants bruyants, un horizon professionnel peu épanouissant et un manque total d'adrénaline et de folie dans son quotidien.
C'est ainsi qu'on la retrouve, sous les traits de la géniale Éléonore Joncquez, sur la scène du théâtre Tristan Bernard. Un moment de rire et de lâcher-prise où Camille Kohler, à l'écriture, nous tend un miroir de nos propres vies. Pour Le Journal des Femmes, elle commente trois aspects de ce beau projet. 

L'émission originelle

Notre société a une position assez contradictoire sur la maternité ; d'un côté, on encense et on glorifie les mères ; d'un autre côté, on ne se prive pas pour leur remettre leur progéniture dans les dents à la première occasion. Les femmes elles-mêmes ont intégré cette ambiguïté et se retrouvent tiraillées entre plusieurs rôles, alors que les hommes en souffrent rarement ! Être père, ça s'apparente à un non-sujet en entreprise, et plus largement dans la société. Brigitte Tornade est née de cette contradiction. Quand j'ai réfléchi à ce personnage, j'y ai forcément mis une part très personnelle, mais en réalité Brigitte incarne aussi les questionnements profonds -et parfois l'absence de réponses !- de nombreuses femmes et hommes autour du couple, des enfants, du travail, des rapports entre les générations...

La radio crée un lien très intime, très exclusif avec l'auditeur, et c'était un espace idéal pour raconter ces contradictions avec humour. Dans la série, Brigitte passe son temps à se confier sur sa vie rêvée. Évidemment, lorsqu'elle est confrontée à la réalité, cette petite musique de famille parfaite et de femme épanouie ne tient pas la route très longtemps. Il ne s'agit surtout pas d'adopter un propos moralisateur, mais plutôt de reconnaître avec humilité que… ce n'est pas facile tous les jours ! Et c'est ce qui a plu aux auditeurs : un ton sympa et décalé, qui traite de leur quotidien avec humour. Brigitte nous parle de nos petites mesquineries et de quelques bonnes vieilles galères, mais sans jamais sombrer dans la méchanceté ou le cynisme.

La transposition au théâtre

Brigitte Tornade est revenue régulièrement sur l'antenne de France Culture entre 2012 et 2017, et puis l'émission La Vie Moderne s'est arrêtée. Après avoir donné de la voix, Brigitte allait peut-être pouvoir enfin prendre corps ? Sur le plan de l'écriture, j'ai mis du temps à trouver mes marques. À la radio, on est dans une écriture sonore, puisque les auditeurs ne peuvent pas voir… Et par ailleurs, grâce à la magie des réalisateurs, des bruiteurs et de notre imagination, on part sur la Lune ou dans les profondeurs des océans en un simple claquement de doigt !

Pour mettre Brigitte sur une scène, il fallait repenser toutes ces contraintes et spécificités. La question des enfants, notamment, a été compliquée : fallait-il les rendre présents par de la vidéo, des images, des marionnettes, des voix enregistrées ? Et puis l'évidence s'est imposée : ce que les auditeurs disaient toujours sur Brigitte Tornade, c'est qu'ils avaient l'impression que j'avais caché des micros chez eux, tellement ils se reconnaissaient dans ces scènes de vie quotidienne, dans ces disputes de couples, dans ces "pétages de plombs" divers et variés…

Brigitte Tornade, c'est d'abord une écriture du réel, un miroir de nos vies, même s'il est déformant et rigolo. Il fallait donc que sur les planches, la famille soit réelle, dynamique, assourdissante, trépidante… Les enfants devaient être sur scène et se faire entendre ! Nos petits comédiens apportent une énergie joyeuse et inhabituelle à la pièce. Pour autant, ça n'en fait pas un spectacle pour enfants… Bien que grand public, la pièce s'adresse d'abord aux adultes, et plus précisément à la génération des 20-50 ans à travers les problématiques abordées.

Eléonore Joncquez

Éléonore Joncquez, c'est complètement Brigitte Tornade ! Déjà parce que c'est elle qui a prêté sa voix au personnage dans la série radio. Même quand elle me laisse un message sérieux sur mon répondeur, j'ai tendance à sourire, parce que j'entends Brigitte ! Mais parce qu'elle est aussi profondément attachée à ce personnage, lequel fait sans doute écho à sa vie personnelle. Pour autant, comme pour les autres comédiens de la pièce, il ne faut pas réduire la justesse de leur jeu à une pseudo proximité avec les personnages. Si Eléonore et Vincent Joncquez nous séduisent autant en incarnant le couple Tornade, c'est avant tout parce qu'ils sont des comédiens talentueux. De même que Julien Cigana n'a pas besoin d'être patron de boîte ou orthophoniste pour être crédible dans ces rôles, pas plus que Clara Guipont n'a vécu mai 68…

Surtout, c'est Éléonore qui a complètement porté ce projet, dont elle a commencé à parler dès le début de la série. Mais ça me semblait trop compliqué de mener de front deux écritures différentes pour un même personnage, et une "vraie" pièce de théâtre me paraissait un défi difficile à relever. Éléonore partage avec Brigitte son énergie et son abnégation. Elle ne lâche jamais rien. Elle m'a vraiment "tannée" pour écrire cette pièce dont je ne me sentais pas capable… Je ne l'en remercierai jamais assez ! 

Je ne me suis pas immiscée dans le travail de mise en scène, ou dans le choix des comédiens, ou alors rarement, et seulement quand Eléonore me demandait mon avis. Je suis également auteure de littérature jeunesse, et je n'ai pas l'habitude de tenir le crayon des illustrateurs pour leur dire quoi dessiner… À la radio, c'est Cédric Aussir qui a réalisé tous les épisodes, et même s'il m'a toujours accueillie très chaleureusement en studio, je n'ai jamais mis mon grain de sel dans les enregistrements. Il a apporté tellement à cette fiction, que je me félicite de n'être jamais intervenue.
Alors pour le théâtre, j'ai appliqué la même recette, et je crois bien que ça a marché au-delà de toutes mes espérances… Au premier filage auquel j'ai assisté, j'étais scotchée !

LA VIE TRÉPIDANTE DE BRIGITTE TORNADE
Depuis le 18 septembre au Théâtre Tristan Bernard (75008)
Du mardi au vendredi à 21h, le samedi à 16h et 21h