Jonas Ben Ahmed (A GOOD MAN) : "Je n'ai pas choisi d'être trans"
Après son interprétation ultra-remarquée de Dimitri dans "Plus Belle La Vie", Jonas Ben Ahmed est à l'affiche de "A Good Man" de Marie-Castille Mention-Schaar, le 10 novembre au cinéma. Le personnage de Neil lui permet de faire bouger les lignes et de devenir le premier acteur transgenre à incarner un homme qui ne l'est pas dans un film grand public. Un petit rôle pour Jonas, un grand pas pour la visibilité des transidentités. Interview.

Jonas Ben Ahmed est décidément abonné aux premières fois. En 2018, son rôle de Dimitri dans Plus Belle la Vie (PBLV), lui a valu d'être le premier homme transgenre à incarner un homme lui aussi transgenre dans une série française grand public. Le voici désormais le premier homme transgenre à jouer le rôle d'un homme non transgenre dans un film. Dans A Good Man, en salles le 10 novembre, le jeune comédien est Neil, un caissier de l'île de Groix qui va sympathiser avec Benjamin, le personnage principal... un homme transgenre.
Avec ce drame sur le désir de parentalité, Marie-Castille Mention-Schaar aborde le sujet des hommes enceints. Ou comment un garçon trans disposant d'un utérus peut mener à bien une grossesse sans que son identité de genre ne soit remise en cause. Dans le film, ce mec courageux, prêt à braver les a priori, est incarné par Noémie Merlant. Une partie de la communauté LGBTQIA+ regrette le choix d'une femme cisgenre1 pour endosser ce rôle alors même que les acteurs transgenres manquent d'opportunités à l'écran. Aux yeux de Jonas Ben Ahmed, l'actrice est plus juste qu'il ne l'aurait été. Le comédien tient à défendre ce long-métrage qui a le mérite d'offrir une rare représentation des transidentités au cinéma. Entretien.
1 cisgenre : personne dont le genre correspond au sexe assigné à la naissance.
Que retenez-vous de votre passage dans PBLV ?
Jonas Ben Ahmed : En m'invitant dans le poste de Monsieur Madame tout le monde à une heure de grande écoute, j'ai vu que ça pouvait changer les choses. J'ai reçu de nombreux messages de personnes trans, sur Twitter par exemple, qui disaient qu'elles avaient eu peur de s'outer2 auprès de leurs grands-parents un peu réac', que ces derniers leur avaient répondu "t'inquiète pas, on a tout vu dans Plus Belle La Vie" et qu'ils faisaient même attention de ne pas mégenrer3 ou d'utiliser de deadname4, mots appris grâce à la série. C'est beau de voir l'importance que ça a sur un public qui n'est pas trans, qui est loin de ces questions-là, qui n'a parfois aucune personne trans autour de lui. La culture permet de banaliser ces sujets. Les gens en ont besoin pour s'évader, se sentir concernés, représentés et se déconstruire aussi.
2 outer : révéler q'une personne est trans (ou LGBTQIA+).
3 mégenrer : utiliser un pronom ou des accords qui ne sont pas ceux utilisés par la personne.
4 deadname : nom donné à la naissance et rejeté car renvoyant à l'assignation.
Pour plus d'informations, vous pouvez vous référer au lexique trans du Planning familial.
Pourquoi c'est important pour vous de défendre A Good Man ?
Jonas Ben Ahmed : Pour tout un tas de raison. Grâce à une discussion avec mon meilleur ami, je me suis récemment rendu compte de l'utilité d'A Good Man sur les personnes trans qui n'ont pas encore fait leur hystérectomie (opération consistant à retirer l'utérus, ndlr) ou sur ceux qui hésitent à porter un enfant. Il m'a dit que si le film était sorti il y a 8 ans, peut-être qu'il ne se serait pas fait opérer tout de suite, peut-être qu'il aurait porté son bébé comme il le voulait. A Good Man participe à se dire "je peux être enceint, où est le problème ?" On voit bien que Benjamin est un mec qui ne veut ni plus ni moins que les autres. Pourquoi lui enlèverait-on ce droit ? Je ne dis pas que demain, un mec trans qui veut porter son enfant le fera grâce au film, mais peut-être qu'on ne se posera plus la question de ce qu'en dira la société.
C'est intéressant de voir que le film peut aussi amener les personnes trans à s'interroger, que les personnes peu averties sur ce sujet ne sont pas les seules à découvrir ces questions-là...
Jonas Ben Ahmed : Personne n'a la science infuse. Moi-même en tant que personne trans, j'ai dû apprendre le vocabulaire associé : ce qu'il est important de dire, ce qu'il ne faut surtout pas dire parce que ça peut blesser... C'est normal de devoir apprendre. C'est pour cela que je ne jette jamais la pierre à personne. Les erreurs, ça arrive. Le plus important, c'est que ce ne soit pas de la malveillance, mais de la maladresse et ensuite on avance ensemble. Ce film est là pour ça. Il tient le public par la main. C'est ce que Marie-Castille sait faire de meilleur : faire découvrir les choses comme elle les voit, sans aucun jugement et avec beaucoup de pudeur. Le film est très réussi parce qu'il touche à plusieurs dimensions. On pense aux personnes peu informées sur le sujet, mais il peut aussi parler à celles plus ou moins concernées par leur frère ou un ami et qui n'acceptent pas. L'incarnation provoque l'identification, même si ce sont des vécus loin des nôtres et ça, ça change les choses.
Qu'espérez-vous voir évoluer avec une meilleure représentation des personnes trans ?
Jonas Ben Ahmed : J'espère que ça fera également avancer les réflexions sur les questions éthiques et bioéthiques de la PMA pour toutes et tous. C'est fou que je sois né avec les mêmes droits et devoirs que n'importe quel autre citoyen français et que je les ai perdus dès que j'ai décidé de m'outer, il y a 11 ans. Je n'ai pas choisi d'être trans, mais j'ai décidé de m'outer et depuis, on m'a retiré des droits. Qu'est-ce que ça veut dire ? Suis-je un citoyen de seconde zone ? C'est ce que j'aimerais qu'on entende. Pourquoi Benjamin galère-t-il à aller à l'étranger alors que la PMA est ouverte pour toutes ? Pourquoi pas pour tous ?
"J'adore interpréter des vécus qui ne sont pas les miens"
Le fait que Noémie Merlant, une femme cis, joue un homme trans fait polémique. Quel est votre regard sur ces débats ?
Jonas Ben Ahmed : La polémique a sa légitimité. Pour moi, personne n'a tort. Je l'ai compris par un ami trans et acteur pour qui c'est important de ne jouer que des personnages trans. Il aurait adoré voir un mec avec des seins dire "il est où le problème ?" alors il a décidé qu'il serait ce mec. Je peux totalement concevoir qu'il veuille orienter sa carrière ainsi. Au même titre qu'il me comprend quand je veille à ne pas jouer que des hommes trans. Après PBLV, on ne m'a proposé que ça. Je refuse parce que je ne veux pas m'enfermer... Marie-Castille est la seule à m'avoir proposé autre chose. Récemment, un réalisateur m'a présenté un personnage en me disant "il n'est pas trans, mais il peut l'être si tu veux". C'est ça. Il faudrait que l'on puisse faire comme on veut. De la même manière, on vient vers moi pour jouer des arabes dealeurs de cannabis en bas des tours des quartiers Nord de Marseille. Je trouve ça triste que mon faciès, mon identité culturelle ou mon identité de genre justifient mon métier d'acteur, alors que si j'aime autant ce métier c'est justement parce que je peux y être plein de choses. J'adore interpréter des vécus qui ne sont pas les miens. Je ne me sentais pas de jouer Benjamin. Au-delà du manque d'expérience, il y a des scènes que j'aurais faites, parce que c'est mon travail, mais pour lesquelles j'en aurais pâti psychologiquement.
Vous pensez aux scènes avant le début de sa transition ?
Jonas Ben Ahmed : Oui. À l'époque du tournage, me raser la barbe était compliqué. Je me suis rendu compte tout récemment que je la portais pour faire viril et pas parce que j'aimais mon visage avec. Ça a changé cet été grâce à un autre personnage, avec Marie-Castille toujours, pour lequel j'ai dû me raser court. C'est là que j'ai réalisé que j'avais encore des choses à déconstruire sur ma masculinité et la fragilité de ma virilité, qui tenait à quoi ? Trois poils sur mon menton ? C'est fou. Pourquoi avais-je peur de voir un fantôme du passé ? Parce que j'avais peur que la société me dise "on voit que tu es trans à ton visage". En 2019, je n'en étais pas encore à ces questionnements-là. Le vécu ne fait pas l'expérience de pouvoir incarner un personnage, encore moins un personnage principal et encore moins Benjamin, qui parle très peu et qui exprime beaucoup.


Le film montre quelques moments du quotidien qui peuvent paraître anodins pour beaucoup, mais qui ne le sont pas pour les personnes trans. Comme le fait de payer par chèque, par exemple...
Jonas Ben Ahmed : C'est rigolo d'être celui qui encaisse le chèque dans le film. Je n'ai pas eu de chéquier pendant longtemps à cause de ça. J'ai obtenu mes nouveaux documents d'identité en juin seulement. C'est dire si j'ai galéré ! Pendant un moment, je me considérais comme sans papier. Récupérer un recommandé, c'était la croix et la bannière, il fallait que je rende des comptes sur ma vie à tout le monde. Rien que quand j'appelais la Sécurité Sociale, pour prouver que j'étais moi, j'étais parfois obligé de donner le nom de jeune fille de ma mère. Une fois, en donnant mon numéro de sécu qui commençait par un 2, la conseillère me répond juste "non". Et donc moi, je lui dis "si". Elle insiste... J'ai fini par lui demander si elle savait mieux que moi. Aujourd'hui, je dis simplement que je suis un homme transgenre, mais il y a encore peu de temps, même en l'exprimant, on ne comprenait pas.
Donc vous constatez des évolutions positives ?
Jonas Ben Ahmed : Bien sûr. Depuis 3 ans à peu près, je n'ai plus de problème quand j'appelle les organismes institutionnels sur ma transidentité. Je suis sûr que c'est grâce à la visibilité. On en parle à la télévision depuis 3/4 ans. Avec A Good Man, peut-être que le fait de voir des hommes enceints ou qu'il soient reconnus comme pères, finira par ne plus poser problème. Benjamin a une vie comme les autres, c'est juste son parcours qui est plus compliqué, mais il s'en accommoderait très bien si la société ne lui posait pas de souci. Quand je dis "société", je pense à tous les cercles : familial, proche ou extérieur. Le cinéma doit apporter d'autres visions, d'autres vécus qui permettent de mieux vivre ensemble. Je suis profondément utopiste et je continue d'espérer que chacun puisse faire comme il l'entend, du moment que ça n'empiète pas sur les autres. Que Benjamin ait un bébé, ça pose un problème à qui, si ce n'est aux parents concernés ? Je suis né comme tous les autres petits garçons, j'ai juste dû batailler plus fort pour devenir un homme. Là c'est pareil, il est né comme tous les autres papas, c'est juste un peu plus galère pour lui de le devenir. Ça ne l'empêche pas d'y parvenir et d'en être très heureux.
1 cisgenre : personne dont le genre correspond au sexe assigné à la naissance.
2 outer : révéler q'une personne est trans (ou LGBTQIA+).
3 mégenrer : utiliser un pronom ou des accords qui ne sont pas ceux utilisés par la personne.
4 deadname : nom donné à la naissance et rejeté car renvoyant à l'assignation.
Pour plus d'informations, vous pouvez vous référer au lexique trans du Planning familial.