Florence Loiret Caille : "J'aime prendre les choses de biais"
Florence Loiret Caille fait partie du jury du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz. L'actrice du "Bureau des Légendes" et de "L'Effet aquatique" nous a accordé un entretien entre deux projections, sur ses émotions de cinéma et ses projets.

Au Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz, il y a les talents venus défendre leur film et ceux présents pour les récompenser. Florence Loiret Caille est membre de la deuxième clique. L'actrice que beaucoup connaissent comme Marie-Jeanne, agent de la DGSE du Bureau des Légendes, joue ici le rôle de jurée en compagnie de Nadège Beausson-Diagne, du réalisateur Thierry Klifa et du producteur Christophe Rossignon. La comédienne vue chez Solveig Anspach, Michael Haneke ou encore Claire Denis met surtout son œil d'adoratrice de cinéma au service du FIF. Quand elle nous explique l'importance de l'émotion pour aborder les dix films en compétition, on regarde briller ses nombreux bracelets bouddhistes porte-bonheurs et l'on comprend alors la nécessité de l'instinct chez elle. Interview autour du 7e Art, avec un détour par le Théâtre du Soleil et la télévision.
Pourquoi c'est chouette, d'être jurée du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz ?
Florence Loiret Caille : Déjà parce que regarder des films, c'est hyper agréable, comme découvrir de nouvelles visions. Ici, il y a une réalisation maltaise, grecque... J'adore quand je n'ai vu aucune image, aucune affiche, aucune bande-annonce, que je m'installe dans la salle obscure et qu'à l'unisson de plein d'autres gens, je plonge, ou pas, dans un univers.
L'actrice que vous êtes arrive-t-elle à regarder un film en étant 100% spectatrice ?
Florence Loiret Caille : Totalement. Je suis dans un état de découverte absolu, comme un rendez-vous. Est-ce que je vais aimer, être gênée, en colère ? Regarder un film, c'est retrouver des émotions qui nous animent tous. Evidemment que si j'aime, je vais faire attention à la manière de filmer, à comment les acteurs bougent leur corps, à ce que ça raconte... Quand quelque chose nous émeut beaucoup, on trouve forcément des liens avec la technique et les comédiens qui habitent le film. Un bon film c'est un sujet, mais c'est aussi un format, une photographie. Le fond et la forme deviennent évidents.
"A 10 ans, 2001, L'Odyssée de l'espace m'a retourné la tête"
Quel est le premier film qui vous a transportée ?
Florence Loiret Caille : Enfant, j'ai grandi en Egypte sans télévision. Jusqu'au jour où mon père s'est cassé le pied et que ma mère a loué un écran avec un lecteur vidéo. Parmi les cassettes, il y avait 2001, l'Odyssée de l'espace. J'avais 10 ans, ça m'a retourné la tête. Je me souviens du monolithe noir, des plans dans l'espace, de la commode Louis XVI. J'ai des flashs qui me viennent et je le vois comme un mystère de cinéma. Ça a été mon premier choc cinématographique, un truc un peu abstrait.
Et ensuite, c'est le théâtre qui a révélé des envies de comédie chez vous ?
Florence Loiret Caille : Je suis rentrée en France à 16 ans, après avoir vécu en Indonésie. Un jour, ma mère m'a emmenée voir la pièce Les Atrides d'Ariane Mnouchkine. J'étais un peu perdue, je ne connaissais rien à la France à part le Berry où j'allais tous les étés. Quand je suis entrée dans ce Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, j'ai vu cette troupe d'acteurs avec des costumes somptueux, du maquillage, des danses, de la musique en live et un texte sublime. Je me suis dit que ce serait mon temple. Mon rêve, c'était d'en faire partie alors je me suis inscrite dans un petit conservatoire de banlieue parallèlement à mes études.
Pourquoi vous êtes-vous finalement tournée vers la caméra ?
Florence Loiret Caille : J'ai bifurqué quand un de mes professeurs de théâtre m'a proposé de passer un casting. C'est comme ça que j'ai eu un agent et je n'y connaissais tellement rien, que je pensais qu'il s'agissait d'un agent immobilier. J'avais 17 ans et c'était ma première honte professionnelle...
Le Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz met en avant le "cinéma d'avenir". C'est quoi, pour vous, le cinéma d'avenir ?
Florence Loiret Caille : C'est le cinéma à venir. Plusieurs films ici abordent l'actualité. Il y a notamment L'Evénement d'Audrey Diwan sur l'avortement et Luzzu sur les pêcheurs empêchés par l'Union européenne. Ce sont des sujets qui font partie de la politique du quotidien et forcément, ça me touche parce qu'on est tous citoyens.
"Je préfère avancer masquée"
Vous participez aussi à un projet en lien avec l'actualité : la série H24 d'Arte, sur les violences faites aux femmes...
Florence Loiret Caille : Les deux productrices m'ont proposé de rejoindre ce collectif. L'idée, c'est de réunir une autrice, une réalisatrice et une actrice pour porter à l'écran des faits-divers subis par les femmes. C'est 24 heures de la vie d'une femme, donc 24 situations de violences, d'humiliations... J'ai travaillé avec Elsa Amiel sur un texte de Blandine Rinkel.
Est-ce la portée féministe qui vous a séduite ?
Florence Loiret Caille : L'idée, ce n'était pas d'en faire quelque chose de trop frontal. J'aime prendre les choses de biais, avec poésie. Je déteste par exemple que l'on me prenne en photo de face, j'aime bien les flous, les lumières basses... Là, avec la réalisatrice, on a choisi de traiter le texte de façon plus abstraite. C'est un témoignage de femme mis en images avec un filtre artistique.
Cette vision des choses vous donne-t-elle envie de vous investir dans l'écriture ou la réalisation ?
Florence Loiret Caille : Je viens d'initier un projet pour adapter Love me tender de Constance Debré. En refermant ce livre, je me suis dit "il faut que ça devienne un film". J'ai appelé Patrick Sobelman, le producteur de Solveig Anspach, et on a tout de suite demandé les droits. C'est la première fois que je m'intéresse à l'écriture, au montage financier, au scénario et je trouve ça très excitant. Pierre Trividic et Delphine Gleize sont en train de l'adapter, elle le réalisera. Il y a une grande impatience, parce que le cinéma, c'est lent.
Pourquoi pas vous derrière la caméra ?
Florence Loiret-Caille : Parce que je trouve ça trop intime de réaliser. Je préfère avancer masquée. Le masque du jeu, dans tous les sens du terme.