MIGNONNES : entrez dans la danse de Maïmouna Doucouré

En salles le 19 août, "Mignonnes", le premier long-métrage de Maïmouna Doucouré, dresse le portrait d'une fillette qui veut grandir trop vite. Entre l'exploration de l'hyper-sexualisation des corps et le décorticage de la cellule familiale, la cinéaste signe une des meilleures œuvres de l'été. La preuve par trois.

Deux cents festivals à travers le monde et plus de 60 récompenses dans sa besace, dont un grand prix à Toronto, un prix international à Sundance et un César du meilleur court-métrage. Avec Maman(s), sorti en 2017, Maïmouna Doucouré signait une entrée triomphale sur la scène cinématographique française. En 21 minutes, l'intéressée y évoquait plus précisément le quotidien difficile d'Aïda, une enfant de huit ans évoluant dans une famille aux prises avec la polygamie.
Trois ans plus tard, voilà que la réalisatrice confirme son talent avec Mignonnes, un long-métrage dans lequel elle interroge la notion d'identité. Ici encore, elle place sa caméra inspirée à hauteur d'enfant, immortalisant avec justesse son héroïne de 11 ans, Amy.
En adoptant son point de vue, elle nous donne à ressentir toutes ses craintes, ses espoirs, et à partager ses pensées et son regard sur le monde.
Engoncée dans un quotidien corseté, cette héroïne étouffe sous les poids des traditions, de la coercition environnante, trébuchant devant de récents bouleversements familiaux. Son hypothétique renaissance se fera-t-elle au contact d'un groupe de danseuses baptisée les Mignonnes ?

Message d'intérêt public

Envisagé à la manière d'un conte, Mignonnes propulse ainsi son héroïne timide et vulnérable parmi d'autres fillettes émancipées, sûres d'elles et enclines à l'embarquer dans un cheminement de précocité accélérée. Entre elles, ça passe par le twerk, cette danse lascive dont les déhanchés et autres mouvements provocants mettront le spectateur très mal à l'aise.

Ces gamines se voient comme des adultes, comme ces stars de clips à succès dont elles singent les ondulations et empruntent l'accoutrement fait de shorts courts et autres vêtements moulants.

Des corps pré-adolescents qui veulent aller plus vite que leur propre nature ne l'autorise, des corps exhibés, des corps pour (mal) s'affirmer.

En creux, Maïmouna Doucouré tire de facto la sonnette d'alarme, elle-même choquée d'avoir vu de ses propres yeux des fillettes se prêter à ce type de choré.

A sa manière, elle alerte les consciences sur le phénomène sociétal préoccupant que représente l'exhibitionnisme juvénile, souvent fait sans avoir conscience de la gravité engagée et du caractère concupiscent des canons gestuels. Elle interroge aussi la responsabilité de la famille, de la communauté, l'absence des parents et surtout les frustrations qu'induit le poids des traditions.

Une réalisation percutante et poétique

Récompensée à Sundance par le prix de la mise en scène et par une Mention Spéciale du Jury International à la Berlinale, Maïmouna Doucouré livre une œuvre qui brille déjà par sa direction d'actrices. Sa distribution, fruit de six mois de casting sauvage -700 petites filles ont été rencontrées-, se révèle être au diapason de ses intentions narratives et artistiques.

A sa tête, l'épatante Fathia Youssouf, remarquable de force et de fragilité dans le rôle d'Amy, crève l'écran. Au-delà des performances de jeu, on applaudit également le travail sur l'image de Yann Maritaud. Doucouré s'appuie adroitement sur sa lumière pour jouer sur les textures, le cadre et les couleurs. Au-dehors, le monde d'Amy est coloré, flashy, pareil à un cliché de David LaChapelle. A l'intérieur, dans un domicile morne, les choses sont plus ternes et les couloirs plus compressibles.

En jouant sur ces contrastes, Doucouré nous permet de coller encore plus près d'Amy et de voir littéralement le monde à travers ses yeux, de trébucher et de se relever avec elle, à l'instar d'un magnifique plan final sur une musique aérienne d'Ablaye Cissoko.           

"Mignonnes // VF"