James Kent : "La voix des femmes a été confisquée"

"Coeurs Ennemis" présente une période méconnue de l'Histoire où deuil et espoir de jours meilleurs se mêlent. Nous avons rencontré James Kent, le réalisateur de ce film sensible, grave et sensuel porté par un trio d'acteurs à fleur de peau et d'émotions, Keira Knightley, Alexander Skarsgård et Jason Clarke.

Coeurs Ennemis est adapté du livre, Dans la maison de l'autre, de Rhidian Brook. Comment vous êtes-vous approprié une histoire que vous n'avez pas écrite ?
James Kent : L'auteur du livre et moi partageons des intérêts similaires tels que le deuil, l'amour ou le pardon. Mais il y a deux grandes différences entre le livre et le film. Dans le livre, Rachel (interprétée par Keira Knightley, ndlr) a perdu un enfant en Angleterre, mais elle a un autre enfant toujours en vie lorsqu'elle s'installe à Hambourg ; alors que dans le film, elle a perdu son enfant unique lors de la guerre. Aussi, la femme de Stephan (interprété par Alexander Skarsgård) est décédée dans mon film, alors que dans le livre elle était toujours en vie, mais gravement brûlée, dans un hôpital.

Pourquoi ne pas avoir gardé ces personnages ?
James Kent : S'ils étaient toujours en vie et présents, les décisions de Rachel et Stephan auraient été beaucoup plus compliquées à prendre. Je voulais qu'ils soient libres de leurs décisions.

La liberté ? C'est ça le thème principal du film ?
James Kent : Surtout, l'amour et le pardon. Chaque personnage trouve un moyen de pardonner aux autres. C'est une leçon importante, d'autant plus de nos jours avec les réseaux sociaux, tels que Twitter et Instagram, où des jugements sont portés et envoyés de façon anonyme et sans arrêt. C'est un message important, de ne pas rejeter l'autre.

En tant que Britannique, quel est alors votre ressenti à propos du Brexit ?
James Kent : (rires) Ça a été un défi de vivre en Angleterre ces dernières années. Pour la première fois, on a vraiment peur. Et je crois qu'on n'avait plus eu peur dans ce pays depuis la seconde guerre mondiale, il y a plus de 70 ans, époque dans laquelle se déroule le film. Mais ce qui est étrange c'est que l'on ne sait pas de quoi on a peur, puisqu'on ne sait pas ce qui va se passer... Mais peu importe ce qui se passe, la question qu'il faut se poser est : "A quel point sommes-nous prêt à pardonner à ceux qui nous ont fait prendre cette décision ?".

Sur le tournage, l'ambiance était-elle légère malgré la gravité du sujet ?
James Kent : L'ambiance était fantastique. Ce sont tous des acteurs très matures, qui ont beaucoup tourné. Keira (Knightley, ndlr) et Jason (Clarke, ndlr) se connaissaient puisqu'ils ont joué ensemble dans le film Everest. Ils étaient mari et femme ce qui a beaucoup aidé pour le film puisqu'ils avaient déjà une connexion et une histoire. Le personnage de Stephan devait être l'outsider en dehors de l'histoire et Alexander (Skarsgård, ndlr) n'avait jamais joué ni avec Keira ni Jason. En plus, il a rejoint le tournage une semaine après le début, ce qui a favorisé la dynamique entre les trois.

L'occupation et le bombardement d'Hambourg sont plutôt méconnus. Etait-ce important de montrer cette part de la seconde guerre mondiale et pas seulement la romance entre les personnages ?
James Kent : C'était très important, parce que la romance et l'Histoire sont totalement liées. Les paysages de guerre et tous ses morts dans les rues, ces corps sans vie et le décor sont des métaphores de ce qui se passe entre les trois personnages et des pertes qu'ils ont chacun vécues.

Votre filmographie compte principalement des films historiques. Pourquoi cet intérêt pour le passé ?
James Kent : J'ai étudié l'histoire à l'université d'Oxford et j'ai toujours aimé le passé. Les femmes dans le passé sont particulièrement intéressantes, parce que leur voix était confisquée par les hommes. Bien sûr, elles avaient une voix, mais elles devaient réussir à la faire entendre. Dans le film, le mari de Rachel ne l'entend pas et ne la comprend pas. Elle lui crie de prendre conscience de la perte de leur enfant et de leurs difficultés. Keira venait de jouer Colette, une femme qui a du beaucoup se battre pour faire entendre sa voix. Le personnage de Rachel est plus humble bien sûr, mais il est aussi face au défi de se faire entendre.

Le titre français résume bien le film, Coeurs Ennemis, et met en opposition la façon dont les personnages devraient se considérer et leurs sentiments réels.
James Kent : Ce titre résume bien le film. Il s'agit de trouver le cœur de l'ennemi, puisqu'il n'est plus vraiment un ennemi, la guerre étant finie. Le film montre que l'ennemi est une construction, pas un état. J'aime la façon dont la France adapte les titres, c'est typiquement français et vraiment charmant.

Quel est votre prochain projet ?
James Kent : Je viens de finir une série de 8 heures, pour la BBC, avec Richard Gere, nommée MotherFatherSon, en un mot. MamanPapaFils (prononcé en français par le réalisateur). Ce n'est pas une série historique (rires). C'est un thriller !

Pouvez-vous donner aux internautes, trois raisons de voir Coeurs Ennemis ?
James Kent : Tout d'abord c'est un beau film à regarder, et parfois le cinéma doit l'être puisque c'est une bonne façon d'échapper au monde. Ensuite, c'est un film qui a pour sujet la compassion et le pardon, et c'est bien de se rappeler de ces qualités. Enfin, c'est un moment extraordinaire de l'Histoire juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale mais juste avant le début de la Guerre Froide. C'est une leçon d'Histoire. Esthétique, émotions et histoire, allez-y !

Coeurs Ennemis, de James Kent, en salles le 1er mai 2019