Keira Knightley : "La rage des femmes m'intéresse, parce qu'elle est encore taboue !"

Dans le film "Coeurs Ennemis", Keira Knightley se plonge une nouvelle fois dans le passé et livre ce qui est peut-être sa plus belle et sensible interprétation. Mère endeuillée, amante désirante et épouse délaissée et incomprise, elle se déplace sur le spectre de la représentation des femmes avec aisance et émotions. Rencontre.

Débit de parole rapide, tasse de thé fumant en équilibre au creux de la main et charme à toute épreuve après trois jours de promo marathon, Keira Knightley est de ces – rares - actrices qui rompent instantanément la barrière de la célébrité. Elle grimace autant qu'elle sourit et lâche autant de Fuck que de pensées engagées. On comprend alors l'entièreté de l'actrice, qui semble passer avec beaucoup de facilité et naturel des blockbusters aux films historiques jusqu'aux campagnes pour la maison Chanel avec qui elle travaille depuis des années.
Dans Coeurs Ennemis, de James Kent, adapté du roman Dans la maison de l'autre de Rhidian Brook, elle interprète Rachel, qui rejoint son mari Lewis (interprété par Jason Clarke), officier anglais chargé de la reconstruction d'un Hambourg dévasté. Tout deux vont devoir cohabiter avec les anciens propriétaires de la demeure dans laquelle ils s'installent, un architecte allemand (Stephan Lubert, interprété par Alexander 
Skarsgård), et sa fille. Hier ennemis, ils vivent désormais sous le même toit. Un trio troublant et à fleur de peau, marqué par la guerre et les pertes.

Pourquoi avez-vous accepté ce rôle ?
Keira Knightley : 
Quand j'ai reçu le scénario je me suis dit que je ne voulais pas faire un autre film sur la seconde guerre mondiale et surtout a-t-on vraiment besoin d'un nouveau film sur le seconde guerre mondiale ? (rires) Mais en lisant le scénario, la notion de pardon et de la reconstruction après un conflit si destructeur m'ont convaincue. Le moment de l'action, juste après la fin de la guerre, a également été déterminant. Parce que je ne m'étais jamais posé cette question : comment reconstruire un putain de continent ?

Comment décririez-vous Rachel ?
Keira Knightley : C'est une femme endeuillée, rien ne peut guérir la perte de son fils mort. Le vide de la maison dans laquelle elle vit désormais, l'incapacité de faire quoique ce soit ou de se projeter, tout la ramène à la mort de son fils. Il n'y a d'ailleurs même pas de mot dans la langue pour définir une mère qui a perdu son enfant. Orphelin, veuf ou veuve, ces mots existent. Mais rien pour un parent qui perd un enfant. Peut-on d'ailleurs toujours se considérer comme une mère si son unique enfant est décédé ? Elle est complètement vide et a quitté son pays. Je pense que son rapprochement avec Lubert (interprété par Alexander Skarsgård, ndlr), est au début un acte de rage, une façon de punir son mari. Elle et lui sont devenus des étrangers qui s'aiment mais ne savent plus se parler. On a tous connu des relations ratées alors que lorsque l'on regarde son ou sa partenaire on devrait voir le meilleur.

Au début du film, elle n'est pas particulièrement aimable et dans un moment de vie très compliqué. C'est un plaisir de jouer un rôle comme celui-ci ?
Keira Knightley : C'est le genre de truc qui excite vraiment les acteurs (rires) ! Elle n'est pas totalement antipathique mais il y a des parts d'elle qui ne sont pas aimables. Elle exprime une forme de racisme et de haine de l'autre, imputable au fait qu'elle ait vécue plusieurs années de guerre, et qu'il est compliqué de ne plus se sentir ennemis d'un seul coup. Je suis très intéressée par la colère et la rage des femmes, parce que c'est... un tabou (rires). On voit très souvent la colère des hommes célébrées à l'écran, mais une femme qui exprime sa rage ou parfois juste son opinion peut paraître détestable. C'est aussi pour cela que j'ai voulu interpréter Rachel.

Il y a une dominance des films historiques et en costumes dans votre filmographie. Comment l'expliquez-vous ?
Keira Knightley : En Europe, les films qui marchent le mieux sont souvent des films historiques. Vivre et travailler en Europe en tant qu'acteur ou actrice implique de jouer des films historiques. Depuis que je vis ici, les rôles les plus intéressants que l'on m'a proposés et qui peuvent toucher le plus grand nombre sont dans des films historiques. Il y a bien sûr des rôles intéressants dans des films modernes, mais ce n'est pas ce que l'on me propose.

En tant que Britannique et Européenne, comment vivez-vous le Brexit qui agite l'Angleterre ?
Keira Knightley : Je suis quelqu'un qui travaille beaucoup en Europe. J'ai tourné en Allemagne, France, Italie, Espagne. Je ne trouve pas ça juste que d'autres ne puissent pas avoir les mêmes opportunités que moi.

Pourquoi ne pas passer à la réalisation, peut-être pour vous offrir un rôle différent ou apporter un autre point de vue ? On a beaucoup dit après le mouvement #MeToo et Time's Up qu'il était important que les femmes s'expriment sans le fameux "male gaze", le regard masculin.
Keira Knightley : Pour l'instant, avec une fille de 3 ans, ce n'est pas une option (rires). Peut-être un jour... Mais c'est un métier tellement différent, il faut communiquer et échanger avec tellement plus de personnes que lorsque vous êtes actrice et gérer tellement d'égos. Je ne suis pas sûre que ce soit mon point fort. Mais ça pourrait peut-être l'être. Reparlons-en quand ma fille sera plus grande et que je ne manquerai pas autant de sommeil.

James Kent, le réalisateur, s'est réjouit que Jason Kent et vous ayez déjà joué ensemble un mari et une femme dans Everest, parce que ça a créé une sorti de connexion et d'histoire entre vous. Etes-vous d'accord ?
Keira Knightley : Ça a beaucoup aidé ! C'est vrai qu'on a une vraie connexion. Sur Everest, j'ai été castée après que Jason ait tourné sa scène de mort pendant laquelle il parle avec sa femme au téléphone, que j'interprète. Quand j'ai du tourner ma partie il a insisté pour me donner la réplique au bout du fil, alors que sa partie était déjà tournée et qu'habituellement on ne le fait pas. Je me suis dit "Ok, ce mec assure mes arrières".

Vous êtes égérie de la maison Chanel. Ambassadrices de marques et mannequins sont peut-être les seules professions pour lesquelles les femmes sont mieux payées que les hommes. Qu'est-ce que ça dit de notre société ?
Keira Knightley : C'est vrai... Ça signifie que l'on accorde encore plus de valeur à l'apparence des femmes qu'à ce qu'elles pensent ou ont à dire. Ce qui devrait changer !

Pouvez-vous donner aux internautes trois raisons de voir le film ?
Keira Knightley : Vous pourrez voir Alexander nu, c'est assez non ? (rires). Plus sérieusement, c'est un film à propos de l'espoir.

C'est le cœur du film selon vous ? L'espoir ?
Keira Knightley : Selon moi oui. L'espoir, mais aussi la rédemption et le pardon... Voilà, ça fait trois raisons. Et Alexander nu bien sûr ! (rires)

Coeurs Ennemis, de James Kent, en salles le 1er mai 2019