"Du jour au lendemain, mon conjoint a disparu"

Quand Aurélie s'est réveillée ce matin-là, le lit était vide...

"Du jour au lendemain, mon conjoint a disparu"
© Photo d'illustration / 123rf-halfpoint

J'ai rencontré Bertrand au lycée. Nous étions dans la même classe et dès la rentrée, il a attiré mon attention. Je le trouvais très beau, il avait l'air doux et mystérieux. J'ai vite compris que c'était réciproque : après nous être regardés pendant de longues heures de cours, nous avons sympathisé et nous sommes tombés amoureux. C'était mon premier petit ami et j'étais sa première copine. Dès l'instant où il m'avait vue, Bertrand en était convaincu : j'étais la femme de sa vie, la seule et l'unique. Ce côté romantique me plaisait beaucoup, j'aimais l'idée d'une histoire d'amour pour la vie.

Une magnifique histoire d'amour

Pendant plus de quinze ans, nous avons partagé un quotidien heureux. Même s'il travaillait beaucoup, Bertrand était une personne très gentille et il avait toujours de petites attentions à mon égard. Nous avons eu deux merveilleux enfants, qui nous ont parfois donné du fil à retordre, mais qui avaient aussi le pouvoir de nous couvrir d'amour. Je ne peux pas le nier : j'ai eu une vie fantastique. J'avais un mari aimant, des enfants adorables, un travail épanouissant. D'un tempérament assez humble et secret, Bertrand ne s'étalait pas sur ses états d'âme. Il voyait toujours les choses de façon rationnelle et tentait souvent d'en retenir le positif. Parfois, j'avais peur qu'il mette les problèmes sous le tapis, mais je ne cherchais pas à le changer, il était comme il était, et je l'aimais ainsi.

Un anniversaire qui crée l'électrochoc

Bertrand n'a jamais aimé fêter ses anniversaires. Je crois qu'il voyait chacun d'entre eux comme une nouvelle année le rapprochant de la mort. C'est pour ça qu'à la veille de ses 45 ans, je ne me suis pas particulièrement inquiétée lorsque Bertrand était d'une humeur massacrante. J'ai passé la journée à essayer de lui remonter le moral, en vain. Je me suis endormie avec un mauvais pressentiment, que j'ai placé sur le compte de l'ambiance tendue. A mon réveil, le lit était vide. J'ai d'abord pensé que Bertrand avait mal dormi à cause de son anniversaire, mais en allant dans le salon, j'ai découvert la cuisine éteinte et le salon tout aussi désert. J'ai fait le tour de la maison. Les enfants dormaient encore, mais Bertrand avait disparu. Prise d'une terrible angoisse, j'ai attrapé mon téléphone pour l'appeler. J'ai entendu son portable vibrer dans notre chambre. J'ai refais le tour de la maison, pour essayer de voir si toutes ses affaires étaient là. Son sac de voyage avait disparu, ainsi que quelques vêtements. Une terreur profonde m'envahit. Où était-il ? Quand allait-il revenir ? Et surtout, pourquoi avait-il décidé de partir ?

L'horreur de la disparition

J'ai réveillé les enfants, je les ai fait prendre le petit-déjeuner et je les ai emmenés à l'école. Comme ils étaient surpris par l'absence de leur père, ils me questionnèrent. Désorientée, il me fallut quelques secondes pour leur répondre qu'il était allé se reposer à la montagne. Les enfants me demandèrent alors pourquoi nous n'étions pas avec lui et quand est-ce qu'il reviendrait. Je leur répondais qu'il avait besoin d'être seul et que je ne savais pas encore quand il rentrerait. Malgré mon état d'anxiété maximal, j'essayais de paraître sereine auprès des enfants, je feignais le naturel et la détente. Une fois les enfants à l'école, j'appelais mon travail pour me porter pâle. Je contactais ensuite tous les amis et la famille de Bertrand, afin d'essayer de récolter des informations. Je ne tirais pas grand-chose de ces appels… si Bertrand était mystérieux avec moi, il l'était encore plus avec les autres. Prostrée, je décidais de passer à l'action : je fouillais toute la maison de fond en comble, à la recherche d'indices qui pourraient expliquer l'absence de Bertrand. Après deux heures de fouille effrénée, je finis par m'effondrer. Rien, absolument rien, dans notre maison ne présageait cette mystérieuse disparition. Le soir, les questions de mes enfants se répétèrent, mes réponses aussi.

Je passais l'une des pires nuits de ma vie et le réveil fut encore plus douloureux. Mais la tristesse avait désormais laissé place à la colère. J'en voulais terriblement à Bertrand d'être parti comme ça, sans crier gare. Je ne comprenais pas comment il pouvait me faire ça, nous faire ça, aux enfants et moi. Malgré mon état émotionnel désastreux, je tentais de garder la face auprès de mes petits bouts. Les jours passants, ma colère ne faisait qu'augmenter, mais je n'en montrais rien. Mes enfants m'ont vraiment aidée à tenir, à ne pas perdre pied. Je restais le roc que j'avais toujours été, comblant l'absence de mon mari par une présence redoublée.

Au bout de quelques jours, un appel

Au bout de quelques jours, je reçus un appel du travail de Bertrand. Son patron m'annonçait qu'il n'était pas venu depuis longtemps et qu'il était injoignable. Je n'ai pas cherché à le protéger, j'ai dit la vérité. En parallèle, je vérifiais fréquemment notre compte bancaire commun, mais pas un centime n'y avait été débité. Nous avions chacun un compte individuel et je n'avais pas accès au sien. Les jours se sont transformés en semaines, puis les semaines en mois. J'ai fini par dire aux enfants que leur père était parti pour un petit moment, mais je continuais de me montrer rassurante. Je leur promettais qu'il reviendrait. Je voulais vraiment qu'ils sachent que leur père ne les avait pas abandonnés. Si je restais très en colère et dans une incompréhension totale, je savais que Bertrand allait réapparaître. A aucun moment, je n'ai envisagé qu'il lui soit arrivé quelque chose de grave ou qu'il ait tenté de mettre fin à ses jours. Je n'ai donc jamais appelé la police, parce que j'estimais que s'il avait voulu partir, il ne souhaitait pas être retrouvé. Et je n'avais aucune envie de lui courir après… D'autant que je restais persuadée qu'il allait revenir.

"Papa !"

Après 8 mois et 12 jours – je continuais de compter chaque journée qui passait depuis sa disparition – Bertrand est revenu à la maison. Alors que je venais de rentrer de l'école avec les enfants, j'ai entendu la sonnette retentir. Mon cœur a bondi lorsque j'ai ouvert la porte et découvert Bertrand. Si ma colère était encore intacte quelques secondes avant, le voir a fait disparaître toute forme d'acrimonie. Il explosa en sanglots et bafouilla maladroitement un flot d'excuses. Sa tristesse était si évidente que je m'avançais vers lui et le pris dans mes bras. Sous les pleurs, il me serra plus fort que jamais en répétant : "Je suis désolée, je suis vraiment désolée." Les enfants ne tardèrent pas à arriver et à crier de joyeux "Papa !" Comme si le temps s'était mis entre parenthèses, nous avons passé plusieurs minutes à nous câliner tous les quatre, là, sur le pas de la porte. C'était une scène surréaliste, d'une intensité inégalable. Suite à ces retrouvailles, nous avons passé une soirée tout aussi incroyable. Je ne peux même pas mettre de mots sur la joie que nous éprouvions, tant elle était démesurée.

Le temps des explications

Malgré tout, il était impensable de faire comme si de rien n'était. Dès le lendemain, je posais ma journée et lorsque Bertrand revint après avoir emmené les enfants à l'école, je l'attendais pour discuter. En plus de se confondre une nouvelle fois en excuses, Bertrand m'expliqua qu'à l'approche de ses 45 ans, une boule d'angoisse s'était installée dans son ventre. Un vide interne l'avait englouti, avec l'impression de ne plus être maître de sa vie, de ne l'avoir peut-être même jamais été. Pendant des mois, il avait fantasmé l'idée de disparaître, de ne plus avoir de compte à rendre à personne, d'être libre, pour la première fois de sa vie... Il avait conscience que c'était aussi égoïste qu'inexcusable, mais ce besoin de faire le point était devenu irrépressible. Le matin de son anniversaire, il avait pris son sac, quelques affaires de première nécessité et était monté dans le train pour le sud, où il comptait faire une randonnée d'une durée indéterminée. Il savait qu'il faisait peut-être la plus grosse erreur de sa vie, mais au moins, c'était son erreur. Il marcha pendant de longues semaines, seul et en pleine réflexion. Plus le temps passait, plus nous lui manquions et plus l'idée de revenir lui paraissait insurmontable, tant sa culpabilité était immense. Il finit par se décider à rentrer à la maison, la peur au ventre.

Tous ces mois d'absence lui avaient permis de réaliser que sa vie lui appartenait et d'être persuadé que son bonheur était auprès de nous, sa famille. Il avait conscience que cet abandon était impardonnable, mais il était prêt à tout pour se rattraper et me montrer qu'il voulait vraiment s'améliorer. Pour appuyer ses propos, Bertrand me proposa de commencer une thérapie de couple. Il voulait changer, être capable d'exprimer ses émotions et de se confier pleinement à moi. Je ne lui ai pas caché ma colère et ma déception, mais j'ai accepté de lui donner une seconde chance. La thérapie de couple nous a énormément aidés. Nous avons abordé tous les non-dits accumulés au fil des années et cela m'a permis de m'octroyer, à moi aussi, des temps de repos bien mérités qui font désormais partie de ma vie. J'ai mis très longtemps à pardonner à Bertrand et je sais que si ça avait été n'importe qui d'autre, je n'aurais pas pu passer outre. Mais ses efforts ont été considérables et il a tenu parole, car depuis qu'il est revenu, il ne se passe pas un jour sans que Bertrand ne me couvre de son amour.