Les hommes montrent moins leurs sentiments que les femmes, il y a une très bonne raison à cela

Lorsqu'il s'agit de mettre des mots sur leurs états d'âme, les hommes semblent bien démunis. Leurs émotions seraient-elles enfermées derrière une porte secrète dont ils auraient perdu la clé ? Parmi les motifs de consultation d'un thérapeute conjugal, le manque de communication se classe en première position. Pour la sexologue Sophie Cayla, cette problématique concerne même 90% de ses patients. Dans le cadre d'un couple hétérosexuel, les femmes sont presque toujours à l'initiative de la démarche, fatiguées du mutisme de leur partenaire. "Je n'y peux rien, c'est dans ma nature" se défendent les hommes que Sophie reçoit. En réalité, cette réserve quant à leurs sentiments serait surtout culturelle et sociétale.

"Sois un homme et tais-toi"

Écrivaine et sociologue, Christine Détrez a récemment publié une enquête sur les comportements amoureux des 15-23 ans (Crush. Fragments du nouveau discours amoureux, Flammarion, 2024). Elle remarque que si les adolescentes font preuve d'un grand enthousiasme, les garçons se montrent beaucoup plus réticents à partager avec elle leurs pensées intimes. Cette pudeur ne tient pas au contexte particulier de l'entretien : même entre copains, les confidences émotionnelles demeurent taboues. "Ceux qui s'aventurent sur ce terrain risquent les moqueries, les insultes ou même les coups" observe Christine. L'injure suprême ? Être traité de "fille" ! "La masculinité, c'est à la fois être accepté par ses pairs et s'opposer aux autres groupes, à savoir les femmes et les homosexuels. Tout ce qui relève des sentiments est attribué au féminin et est par conséquent délégitimé." 

Les hommes sont-ils pour autant insensibles ? "Ils expriment plus facilement certaines émotions comme la colère, la fierté ou encore l'ambition" nuance Christine. Si ces dernières leur semblent plus légitimes, c'est parce qu'elles correspondent aux codes de la virilité. Ces stéréotypes pèsent sur nos représentations dès la naissance et sont la cause première du fait que les hommes montrent moins leurs sentiments que les femmes : "Cela commence par la manière dont on décore la chambre du bébé et les vêtements qu'on lui fait porter. L'iconographie du cœur, par exemple, est associée aux petites filles, pas aux petits garçons". Les enfants intègrent très tôt les injonctions liées à leur genre, et cela se vérifie dans la cour de récréation. Quand les fillettes se réunissent pour discuter de leurs émois, les garçons préfèrent se défouler en tapant dans un ballon. L'amour ? C'est un truc de fille !

Habitués à dissimuler leur vie intérieure pour affirmer leur virilité

"Les femmes développent un véritable capital émotionnel, c'est-à-dire tout un éventail de compétences qui permet de ressentir, d'analyser et d'extérioriser. Les hommes, eux, n'ont pas appris à le faire" déplore Christine. Habitués à dissimuler leur vie intérieure pour affirmer leur virilité, ces derniers se retrouvent ainsi dépourvus de ressources pour exprimer leurs émotions. Cette censure peut avoir des conséquences significatives, notamment en matière de santé mentale. Sophie est régulièrement confrontée à des hommes souffrant d'anxiété. "Exprimer ses émotions aide à réguler son état intérieur. En revanche, tout garder pour soi peut mener à des ruminations. Cela se traduit par de la tristesse, des excès de colère, voire même des états dépressifs" nous explique la sexologue. Cette incapacité à dialoguer peut également impacter la vie conjugale. Difficile de combler ses besoins affectifs avec un partenaire peu démonstratif ! Le risque, à terme, est de multiplier les incompréhensions, malentendus et frustrations qui fragilisent les liens. Il incombe souvent aux femmes de compenser ce déséquilibre, étant socialement considérées comme plus aptes à gérer la dimension émotionnelle du couple. "C'est une charge supplémentaire qu'on leur impose" confirme Christine.

Les hommes et la communication, une peine perdue ? Au contraire ! Comme toute compétence, celle-ci s'acquiert avec le temps et la pratique. "C'est un apprentissage. Les hommes que je reçois se rendent compte, parfois dès la première séance, qu'ils sont tout à fait capables de parler. Et que ça fait du bien !". En ce qui concerne la jeune génération, des séries comme Sex Education ou Heartstopper participent à l'émergence de nouveaux modèles masculins : "Ces produits culturels offrent des récits différents, promouvant des valeurs autres que la bravoure ou la force" s'enthousiasme Christine. Leur succès confirme en effet une volonté collective de redéfinir la masculinité, où les émotions ne seraient -enfin- plus perçues comme un signe de faiblesse.